Le Journal d'Ederson #2

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Le 19 Janvier 2004

«Le problème quand on écrit son histoire, c'est que chaque jour ne vaut pas forcément la peine d'être raconté. On se lève, on vit notre train-train quotidien et rien ne change. Nos voisins restent les même, nos collègues n'ont pas bougé de bureau, le mécanisme de notre voiture n'a pas été secoué dans la nuit. Le problème quand on tient un registre des moments passés au court de son existence, c'est que l'inspiration joue à cache-cache, elle fuit un long moment puis revient lorsque le sommeil nous manque, que notre vue se trouble, que nos doigts ne suivent plus les courbes de notre clavier et ne trouvent pas non plus la force de tenir un stylo. A l'instant même où j'ai retrouvé la faculté d'écriture, j'ai voulu coucher ma vie sur papier. Si seulement j'avais su plus tôt qu'écrire ne dépendait pas de moi, si seulement j'avais su que ma liberté ne serait qu'illusion. À qui mentons-nous ? Sommes-nous libre d'écrire, le sommes-nous, réellement ? Si le syndrome de la page blanche existe, c'est là la preuve de nos limites. Quand on écrit, on ne pense à rien, ça vient seul, ça vient au gré de nos envies, de nos idées, de nos sentiments et ça peut déchirer, administrer des claques, vous tirer des larmes mais le plus douloureux, c'est quand le désir est présent, ardent, à l'affut mais que vos doigts ne répondent à rien, votre esprit ne trouve pas les mots, rien n'est juste, tout sonne faux. Pas de sujet. Pas de contexte. L'imagination s'est tirée, elle nous a laissé là, dans la plus grande des frustration. Comme un "pas ce soir, chéri, j'ai mal au crâne" et moi aussi j'ai mal au crâne, ça bouillonne, ça s'agite et rien ne vient. Souvent, ça dure des mois mais je fais comment, moi, pour équilibrer ce manque ? Ce serait bien trop simple de fonctionner par "si je veux, je le peux" mais l'écriture ce n'est pas ça. Ce n'est pas se poser devant son ordinateur et se dire "j'en ai envie", c'est se retrouver en dialogue avec soi-même, s'enfoncer dans une schizophrénie solitaire et muette, un combat dans le choix des mots justes à employer et le message à délivrer. J'ignore si le pire reste de ne rien trouver à écrire ou au contraire de faire face à une facilité d'écriture débordante qui vous réveille à quatre heure du matin, quand plus rien ni personne n'existe et que vos articulations vous font souffrir tant elles ne s'y attendaient pas. Personne ne s'y attendait. Pas même vous. Et ça me fascine autant que ça m'effraie parce que je peux écrire en dix minutes comme en plusieurs heures. Je déteste ce semblant de liberté qui ne reste qu'à peine acquis, ces crampes après avoir martelé les touches de mon clavier dans l'espoir d'épuiser le peu d'inspiration délivrée après un temps indéfini sans jamais trouver quoi aligner sur ce papier. Je voulais raconter ma vie, en garder les meilleurs souvenirs mais tous les jours c'est la même chose, les mêmes paroles "à ce soir, prends soin de toi" et je n'ai plus rien à raconter peut-être parce que je ne vis plus. Je me meurs entre les draps de cet appartement, je m'abandonne à une vie sans rebondissement et là me vient la solution. J'ai besoin d'écrire, de combler ces pages vides, je sors, je m'enfuis, à la recherche de l'inspiration, cette traitresse. Je la trouverai, je la ramènerai et je te jure, journal, qu'à nouveau je te comblerai.

- E.A.K»

Ederson Aimé Klimph.Where stories live. Discover now