1er Avril 1972

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"À ton tour.
- T'es pas cap d'arrêter de respirer 30 secondes.
- Trop facile."

Le brun s'assit correctement face à son ami de toujours, le fixant de son air de défi comme il a toujours su le faire à chaque fois qu'ils jouaient à ce jeu. Ils étaient déjà forts pour leur jeune âge, aussi bien l'un que l'autre et chaque année qu'ils gagnaient les rendaient encore plus inventifs.

Une respiration profonde et l'enfant pinça son nez à l'aide de son pouce et de son index comme on le lui avait appris à la piscine, pour mettre la tête sous l'eau. L'apnée, il connaissait, il était le plus fort à l'école.

"Un, deux, trois..."

Ederson, six ans, le fixait de ses yeux sournois. Il savait comment ce défi fonctionnait. Il n'avait qu'à compter lentement pour faire durer la torture, il allait gagner, c'était assuré.

"...neuf, dix, onze..."

Mais le temps passait et Chad ne flanchait pas, peut-être était-ce réellement trop facile pour lui, peut-être avait-il mal choisi son défi. Lui ? Non, jamais.

"...quinze, seize, dix-sept, t'as pas le droit de gonfler les joues, dix-huit..."

Il approcha ses deux mains des joues de son acolyte, appuyant sur celles-ci qu'il avait gonflé en espérant retenir son souffle jusqu'à la fin du temps imparti.

"vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre, t'es tout rouge."

Il résistait contre la pression qu'exerçait le blond sur ses zygomatiques, pas question de perdre. Et sans prévenir, il reprit son souffle non pas parce qu'il ne pouvait plus continuer mais parce que son adversaire avait réussi à placer assez de force contre ses joues pour le faire céder. Dans sa chute, le brun avait postillonné et Ederson se tordait de rire tout en s'essuyant le visage, fier de sa stratégie.


"T'as triché ! D'abord, tu comptes trop lentement, t'es encore pire que ma grand-mère et puis t'as pas le droit d'appuyer sur mes joues comme ça.
- Gonfler c'est tricher.
- C'est pas vrai, c'est toi le nul pour dire les règles.
- C'est moi qui donne le défi, c'est moi qui fais les règles.
- T'as triché.
- T'es un mauvais perdant.
- Pas cap de rester sous la pluie cinq minutes sans manteau.
- Dehors ? Mais il fait froid !
- Ederson est une poule mouillée ! Ederson est une po-
- Cap."

Alors il s'était levé d'un pas décidé, toisant son meilleur ami d'enfance du regard avant d'avancer d'un pas décidé dans le couloir pour rejoindre le jardin. Après tout, l'eau n'a jamais tué quiconque, pas vrai ? Il sera seulement mouillé, un petit peu mouillé, trop facile, cinq minutes, ce n'est rien.

Il ouvrit la porte, une rafale de vent balaya ses cheveux. Cinq minutes, ce n'est rien, il n'aura qu'à compter à la vitesse de l'éclair. Un pas, deux pas, il se plaça non loin de la fenêtre de sa chambre où Chad l'observait déjà de ses yeux rieurs. La pluie déferlait sur son petit corps d'enfant et pourtant, il ne bougeait pas, les bras croisés contre sa poitrine.

<<Comme dans le bain.>>, se disait-il pour se convaincre de ne pas retrouver immédiatement la chaleur de sa belle et confortable maison.

Ses cheveux lui tombaient sur le visage et il en détestait la sensation. Il avait l'impression de se tenir debout depuis une éternité mais il n'avait pas compté, trop occupé à soutenir le regard de son rival qui, se trouvant au chaud, lui faisait quelques saluts de la main, mimant des bâillements. Il sentait l'eau dévaler son dos et son corps qui ne réagissait que par de légers tremblements. Ses dents claquent mais il gagne, ses mains serrent son pull en laine rouge, ses jointures blanchissent mais il gagne, ça ne veut rien dire tout ça. La pluie salit ses nouvelles chaussures que ses grands-parents lui ont offert pour ses six ans, elles étaient belles avant que la terre ne les ait éclaboussées, qu'allait-il dire à maman ? Elle serait furieuse, elle qui aime prendre soin de ses affaires et les faire briller de mille feux. Son pantalon beige n'est plus, il lui colle à la peau, la pique tant le tissu est froid contre celle-ci, son pull devient lourd, il ne lui tient plus chaud du tout et il se demande depuis combien de temps il attend, il a forcément gagné.

"Ederson, bon sang, tu es tout pâle ! Mais tu es fou de sortir dehors sans tes vêtements de pluie, enfin. Où est Chad ?"

Disparu sous les couettes de son lit, faisant semblant de dormir. A cela aussi il était doué, fuir pour le laisser se dépêtrer de leurs bêtises seul. Et lui, tout ce qu'il avait gagné dans tout cela, c'était une punition pour avoir fait exprès de se rendre malade et une grippe qui l'avait cloué au lit une semaine entière.

Et pourtant, Chad et lui n'avaient pas fini de jouer, ils avaient à peine commencé.

Ederson Aimé Klimph.Where stories live. Discover now