"Dis-moi que tu n'as rien.
- ...
- Ederson ! Réponds-moi !
- ...
- Tu le fais exprès ou quoi ? T'es pas fichu de me dire un traître mot ? T'as perdu la parole ou quoi ?
- ...
- Et merde."Une chute, leur chute, la dernière et les voilà revenus à la case départ. Si l'un a conservé l'entièreté de sa personne, l'autre n'est plus qu'un corps vide. Aucune pensée, aucune faculté, le voilà les yeux écarquillés, paniqué dans cet environnement qu'il ne connait pas. De longues secondes se passèrent avant qu'il ne comprenne qu'il pouvait bouger. Il recule, rampe, s'éloigne de l'être qui se tient debout devant lui, la main tendue en sa direction. La lumière l'aveugle, son corps le fait souffrir mais il ne s'arrête pas, il bouge comme il le peut tant que cela lui fait gagner de la distance. Le sol érafle ses jambes et ses mains, il ne sait pas respirer, ses poumons le broient de l'intérieur. Son dos heurte le tronc d'un arbre, il tremble, il tousse et ne comprend rien à tout ce qui lui arrive. Pourquoi son torse se soulève puis s'abaisse et fait entrer ou sortir de l'air de sa bouche ? Il regarde ses mains, bouge ses doigts, touche son visage, ses cheveux, il ne comprend rien.
"On a du pain sur la planche."
Dès ce jour, il lui tendit la main à chacune de ses chûtes, devint son bouclier. Et si le blond n'était plus, Eurynôme se promit de lui offrir une seconde chance sur cette Terre, de se battre pour lui rendre son savoir si ce n'était plus encore.
Alors ils étaient restés plantés là une heure, deux heures, peut-être même trois, à se fixer, à observer cette forêt, animée des couleurs naissantes de l'automne."Tu vas attraper froid."
Le vent se levait et il le sentait grelotter sous ses habits. Ses bras s'étaient instinctivement fermés autours de son corps frêle aux airs d'enfant, serrant encore et encore en espérant arrêter ses tremblements.
Une forte douleur attaqua ses gencives, le faisant revenir à lui qui s'attardait sur les détails physiques qui composaient son acolyte. Le brun plaqua sa main sur sa joue avant de faire glisser son index le long de sa dentition à la recherche de la cause de son mal. Il priait pour ne pas tomber sur ce à quoi il pensait. Manqué. Il soupira."Ils n'ont pas osé."
Sa langue prit la place de son doigt. Il savait d'ores et déjà que faire.
"Tu as faim, Ederson ?"
Rien.
"Tu ne peux pas me répondre, je le sais. Excuse-moi."
Et même s'il l'avait voulu, Ederson ne trouva pas la force de s'éloigner encore plus de cet homme qui bougeait et émettait des sons qu'il ne comprenait pas. Cet homme qui le porta et le dressa à une hauteur qui l'effraya si bien qu'il s'agita pour s'abaisser, en vain. Sa force ne valait pas celle de celui qui le soutenait contre son corps déjà bien plus musclé que le siens.
"Regarde-moi."
Le brun claqua des doigts pour attirer l'attention du bouclé qui sursauta tant ce bruit l'avait agressé. Il pointa ses jambes, poussant Ederson à suivre du regard la direction indiquée par son doigt. Sa jambe droite s'avança, il poussa également celle du bouclé qui fronçait les sourcils avant de recommencer avec la jambe gauche. Et malgré ses efforts considérables pour lui faire assimiler le mécanisme de la marche, Eurynôme comprit que de pauvres heures ne l'avanceraient pas aussi vite qu'il l'aurait voulu. Il se résigna et, après plusieurs minutes composées de coups de coude dans les côtes, de coups de pieds dans les tibias et de deux ou trois griffures, Ederson n'eut pas d'autre choix que d'accepter d'être transporté sur le dos de celui qui l'effrayait au possible à l'approcher de la sorte. Face à la vitesse à laquelle ils se déplaçaient, il ne put s'empêcher d'enrouler ses bras autours de son cou, tentant de dissimuler son faciès entre ces-derniers.
"Excellent." se réjouit le brun en observant son endurance, également ravi de sentir l'étreinte du bouclé se refermer autours de son corps.
C'est quelques rues plus loin qu'il décida de mettre son plan à exécution, aidant Ederson à descendre pour l'asseoir sur un trottoir, légèrement en retrait. Il se dévêtit de son pull qu'il posa délicatement sur ses épaules, priant ironiquement pour que son protégé ne prenne pas la fuite. Après tout, où pourrait-il bien aller puisqu'il lui était impossible de tenir sur ses deux jambes ? Eurynôme fit courir ses doigts sur l'interphone à l'entrée de la bâtisse qui semblait accueillir une dizaine d'appartements, un rictus non dissimulé aux coins des lèvres, excité en raison de l'adrénaline qui montait en lui, puis appuya, au hasard. Une sonnerie, puis deux, une petite voix claire répondit. C'est une femme.
"Oui ?
- Un de mes plus proches amis vient de se faire agresser, il est blessé et je n'ai nul part où aller, mon téléphone ne fonctionne plus, je vous en supplie, aidez moi !
- Ne bougez pas, je vous ouvre et descends vous aider immédiatement !"Elle raccrocha, un son grave retentit, débloquant l'immense porte donnant sur le hall principal. "Idiote." se moqua Eurynôme alors qu'il s'empressait de grimper les escaliers, restant planté devant la porte d'entrée qui s'ouvrit à la volée sur une jeune femme, probablement la trentaine, vêtue de vêtements trouvés au hasard sur les premières étagères de sa penderie. Quelle bonne samaritaine, dévouée au premier inconnu quémandant de l'aide. Le visage de cette-dernière se décomposa face au calme de l'homme qui semblait au bord de la crise d'asthme lorsqu'elle l'avait entendu à l'interphone.
"Mais...
- Je vous demanderai de faire le moins de bruit possible, je ne voudrais pas déranger le voisinage."Un quart d'heure plus tard, il était de retour dans l'appartement, Ederson logé dans ses bras, posant le regard sur chaque mur, chaque objet meublant l'habitation, ses tremblements n'ayant pas cessé. Le laisser dehors aussi longtemps même avec un pull sur les épaules n'était peut-être pas sincèrement judicieux.
"Ce n'est pas luxueux mais c'est un bon début. Tu verras, tout se passera bien."
Il l'installa sur le canapé et revint plus tard avec un verre rempli à demi de liquide rougeâtre. Accroupi devant le blond qui le dévisageait de ses yeux d'ébène, il posa le bord froid du récipient contre ses lèvres rosées desséchées par le manque d'hydratation et le froid s'étant violemment abattu sur la ville Britannique, le basculant peu à peu jusqu'à ce qu'une ligne liquoreuse se dessine sur ses lippes. Voyant que le plus jeune d'entre eux ne daignait pas réagir, il lui montra sa langue qu'il fit glisser le long de ses lèvres avant de sourire pour l'encourager à faire de même. Le visage d'Ederson sembla s'éclairer lorsqu'il eut absorbé la matière déposée sur les siennes. Il s'empara du verre que tenait encore le brun entre ses mains, l'avalant d'un trait avant de le lui redonner, l'agitant sous son nez pour en obtenir une quantité semblable.
"Demain, tu en auras à nouveau, c'est promis."
Et il le laissa à sa place, retournant dans la cuisine pour y déposer la vaisselle qu'il venait de salir avant de rejoindre la seule et unique chambre de l'appartement. Adossé contre l'encadrement de la porte, il posa son regard sur le cadavre de la propriétaire qui trônait sagement au centre du lit.
"Et maintenant que vais-je bien pouvoir faire de toi..." souffla-t-il, réalisant enfin la situation dans laquelle il s'engageait.
C'est ainsi qu'ils débutèrent, au dernier étage d'un immeuble en plein centre de Londres, un cadavre sur le dos à peine 24h après avoir posé les pieds sur ce pauvre sol qu'ils espéraient ne plus jamais revoir si seulement ils n'avaient pas commis la faute de trop.
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Ederson Aimé Klimph.
General Fiction"Un vagabond, une âme délaissée, un grain de sable noyé, effacé, une illusion, un cauchemar que l'on veut chasser à tout prix, un homme, un ange banni du paradis Connaître son nom ne vous engage qu'à l'oublier lorsque le temps sera venu pour lui d...