Grenouilles en goguette

73 8 14
                                    


« Harlock. Au secours. »

Lorsque le capitaine pirate avait reçu ce message laconique du Karyu, il avait envisagé les pires catastrophes imaginables : une panne mécanique critique, une hécatombe parmi l'équipage, un ultimatum impossible à tenir... Warrius Zero n'était pas du genre à réclamer de l'aide pour des broutilles, surtout à lui.

Harlock n'avait en conséquence pas hésité à interrompre ses activités en cours pour rejoindre la planète sur laquelle était posé le vaisseau de son... euh, ami. Qui, d'accord, n'était pas tout à fait dans le même camp que lui, mais depuis le temps qu'ils se côtoyaient dans l'espace, Warrius et lui avaient développé certaines « affinités ». Une trêve tacite s'était installée sans que l'un comme l'autre n'y prenne garde, et désormais il leur arrivait beaucoup plus souvent de partager un verre que de s'affronter lorsqu'ils se croisaient.

... Un verre et autre chose, d'ailleurs, songea Harlock avec un sourire. L'officier de la Flotte Indépendante Terrienne se montrait toujours un peu coincé au premier abord, mais il n'avait jamais formellement repoussé les expériences diverses qu'Harlock lui proposait.

Le capitaine s'assombrit. Si jamais il était arrivé malheur à Zero, comment allait-il s'amuser à présent ?... Merde, ce n'était pas le moment de jouer les Cassandre. Attends d'abord de constater les dégâts sur place. Le commandant Warrius Zero était coriace, il ne se laisserait pas abattre si facilement par quel qu'ennemi que ce soit.

Le Karyu se trouvait sur Elbèse, la seule planète habitable d'un système perdu derrière la nébuleuse de l'hippopotame (un astronome devait avoir un taux conséquent d'alcool dans le sang lorsque ce coin de l'espace avait été cartographié). Le fleuron de la Flotte Terrienne était amarré sur un quai flottant, à l'ouvert d'un delta tentaculaire en bordure de l'astroport local. Le coin semblait calme. Harlock s'en assura avec un scan radar, infrarouge, optique, un drone renifleur et une reconnaissance basse altitude sous camouflage. Tous les résultats se révélèrent négatifs.

Un peu surpris tout de même (il y avait danger, oui ou non ?), le capitaine pirate décida que le plus simple restait de se poser à côté du Karyu pour demander directement des explications. Il ne prit pas la peine de s'annoncer sur la fréquence – Zero ne tirait jamais sans sommation, de toute façon – et se contenta donc d'amerrir et de s'accoster sur le tribord du Karyu, à l'opposé du quai. Il confia ensuite la passerelle et la fin de la manœuvre à Tochiro et se dirigea vers le sas milieu du Death Shadow.

Son imagination gambergea sur la nature de l'aide que Warrius réclamait (et par extension, sur la nature exacte des ennuis qu'il affrontait) tandis que le tube de jonction achevait de se fixer au sas du Karyu. Un vaisseau inconnu ? Des chasseurs de primes ? Quoi qu'il en soit, Harlock se réjouissait de retrouver Zero. Les aventures en sa compagnie étaient toujours mémorables.

Enfin, l'ouverture des portes étanches entre les deux vaisseaux révéla un uniforme familier. Le commandant du Karyu s'était déplacé en personne pour l'accueillir – une bonne nouvelle, de l'avis d'Harlock : cela signifiait que Warrius se portait bien.

Toutefois et avant que le capitaine pirate n'ait le temps d'ouvrir la bouche, le commandant terrien le salua d'un tonitruant « putain mais tu ne veilles pas ta radio ou quoi ? Ne colle pas ton vaisseau au mien ! », ce qui était plutôt inhabituel de la part d'un officier bien élevé comme Warrius.

Harlock leva un sourcil. Une quarantaine médicale ? Mais dans ce cas, pourquoi le Karyu n'arborait-il pas les marques adéquates dans sa mâture ? Zero se posait en modèle de rigueur, pourtant... Il n'aurait pas omis une procédure aussi élémentaire !

— Décroche ce sas et éloigne-toi ! continuait Zero sur le même ton. Il est peut-être encore temps...
— Les tubes annexes sont verrouillés et opérationnels depuis au moins dix minutes, coupa Harlock. Si tu ne voulais pas qu'on partage ton air tu aurais dû hisser les pavillons qu'il faut.

Anecdotes interstellairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant