Chapitre 5 - Neiges nocturnes

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3 décembre 2014, 17h38, quelque part dans le Nord.

Le moteur se mit à crachoter de manière menaçante et le traîneau subit quelques cahots. Il dévala plusieurs mètres d'altitude, par à-coups brutaux qui firent valdinguer ses passagers dans tous les sens, puis la machinerie émit quelques râles d'agonie déchirants avant de définitivement rendre l'âme et ils dégringolèrent comme des pierres la maigre hauteur qui les séparait encore du sol. Le traîneau s'écrasa nez devant dans une congère, son pot d'échappement fumant à la manière d'une locomotive.

Pendant un instant, il n'y eut que le silence, le sifflement du vent sur la steppe, l'immobilité blanche de la neige. Une silhouette s'extirpa du tas dans lequel elle avait atterri, crachant des flocons et des gros mots en essayant de se débarrasser de la poudreuse humide qui avait infiltré ses vêtements et ses bottes. Lorsqu'il eût achevé son interprétation personnelle de la danse de Saint-Guy, Charlie s'employa à déblayer la neige qui recouvrait le traîneau pour en extirper ses frères et sœurs.

Progressivement, les Claus émergèrent les uns après les autres, tout aussi peu enchantés par l'accident que leur aîné. Nans avait l'air secoué, mais il leur assura qu'il allait bien ‒ même s'il ne refusa pas le manteau supplémentaire que lui proposa Nathan.

— J'y crois pas ! pesta Judith en frottant la neige accumulée sur sa capuche. C'est pas vrai, Charlie, ne me dis pas que tu nous fais le coup de la panne d'essence !

L'interpellé grinça des dents d'un air embêté. Pour le coup, il ne trouva aucun argument à retourner à sa sœur.

— J'ai oublié, finit-il par reconnaître. Ça arrive.

— Oh, tu es un putain d'abruti ! lui cria Judith en lui jetant une poignée de neige. C'est pas possible d'être aussi couillon, bordel ! Regarde-moi dans quel pétrin tu nous as fourrés !

Et elle continua de lui hurler dessus, sans cesser de lui envoyer à la figure tout ce qui lui passa sous le nez. Charlie se reçut quatre boules de neige et l'une des pommes de pin vernies qui ornaient le traîneau avant que sa sœur ne tombe à court de munitions et ne se jette sur lui toutes griffes dehors, pour terminer le travail à la main. Les deuxf rangins roulèrent sur le sol dans un entrelacs de bras et de jambes, Charlie cloué sous Judith qui luttait comme un tigre et qu'il essayait tant bien que mal de tenir à distance. Il mangea malgré lui quelques poignées de neige, avant de finalement réussir à la maîtriser et à l'immobiliser sous son poids.

— Espèce de petit con ! brama-t-elle depuis sa position inférieure. Saboteur !

— De toute façon que voulais-tu que j'y fasse ? lui rétorqua-t-il sur le même ton. Que je passe à la station faire le plein avant de revenir vous chercher ? En demandant aux ombres de se tenir tranquilles jusque là s'il vous plaît ? Et tu crois que gueuler comme ça va arranger les choses ? Tout ce que tu vas faire, c'est attirer nos poursuivants ! T'as vraiment rien de moins contre-productif à proposer ?!

Pour toute réponse ,Judith lui cracha à la figure. Charlie se figea, monta une main à sa joue et s'essuya lentement, avec une telle furie condensée dans ce si petit geste que Nathan, Léo et Victorine reculèrent d'un pas prudent.

Avant qu'il n'ait pu répliquer de quelque manière que ce soit, une quinte de toux rêche déchira l'air.

La dispute s'interrompit aussitôt et les deux jeunes gens se précipitèrent au chevet de Nans, paniqués. Celui-ci se plia en deux, mains agrippées à sa poitrine, et continua de s'étouffer dans ses expectorations, qui raclaient ses poumons d'un son assez douloureux pour que Nathan crisse des dents. Un instant, il se demanda si son frère n'avait pas délibérément provoqué cette toux pour arrêter l'altercation. Ç'aurait bien été son genre.

From Christmas with LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant