Chapitre 9 - Mort sur la glace

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4 décembre 2014, 6h03, dans la neige.

Une tête apparut de l'autre côté du banc de glace. Victorine sursauta contre Nans en étouffant un petit cri dans sa moufle et Charlie pointa brusquement son fusil sur l'intrus. Son doigt avait déjà voyagé jusqu'à la gâchette lorsqu'il reconnut Judith ; il relâcha d'un coup tout ce qu'il avait dans les mains, sa tension grimpée en flèche s'envolant avec son immense soupir.

- Putain, Jude, annonce-toi ! s'effara-t-il en essayant de calmer son cœur qu'il entendait battre à ses tympans. J'ai failli te trouer la cervelle, idiote !

Il devina que la bouche de sa sœur se tordait en une moue agacée sous son cache-nez.

- Annoncez-vous vous-mêmes, couillon, j'étais pas sûre à cent pour cent qu'il s'agissait de vous. Si ça avait été une bande d'ombres, j'aurais été bien contente d'avoir été un peu furtive.

Elle abaissa à son tour son fusil à pompe et finit d'entrer dans le maigre refuge de ses trois frères et sœurs, s'extirpant comme elle le pouvait de sa couche de neige. Ses vêtements étaient zébrés de haut en bas de larges giclées d'hémoglobine noire, jusqu'à son front qui n'avait pas échappé au marquage sanglant. Derrière elle, la figure blonde de Léo apparut à son tour.

Charlie s'épousseta et se remit debout.

- Vous vous en êtes sortis ? demanda-t-il.

Judith se planta devant lui avec un regard narquois.

- Mieux que toi, répondit-elle, en levant une main pour essuyer l'écorchure sur le front de son frère. Son ton était cynique mais son geste étonnamment tendre.

Charlie l'ignora et plaqua ses mains sur les épaules de la jeune femme pour l'observer des pieds à la tête, un brin d'urgence dans les yeux. Satisfait de la voir saine et sauve, il fit de même avec Léo, et expira un nouveau soupir lorsqu'il constata qu'ils étaient tous les deux entiers.

- Et Nathan ?

L'air soucieux de Judith s'accentua.

- Je ne sais pas. Je l'ai perdu de vue dans la bagarre. J'avais espéré qu'il serait avec vous.

- Merde, siffla Charlie.

Il posa deux doigts sur l'arête de son nez et demeura un instant dans cette position, sans qu'on ne sache vraiment s'il essayait de réfléchir ou de calmer son angoisse.

- Merde. Bon, lâcha-t-il en émergeant à nouveau. On va bien finir par le retrouver, il n'a pas dû aller très loin. On va remonter vers le Nord. Il sait que c'est par là qu'on se rend, alors c'est probablement la direction qu'il a prise...

- A compter du fait qu'il ne soit pas mort ou en train de se vider de son sang quelque part dans la toundra, souffla Léo.

Charlie s'apprêta à l'assassiner du regard, mais le visage du garçon était si blême qu'il se retint. À la place, il posa une main sur l'épaule du blondinet et rétorqua :

- Pas de défaitisme, s'il te plaît. On ne peut de toute façon pas quadriller le terrain pour le retrouver, ça nous prendrait des années, et encore, c'est la version optimiste. On ne peut même pas sortir et crier son nom dans la neige si on ne veut pas que toutes les ombres du pays ne nous tombent dessus. Et il faut qu'on continue à avancer.

En disant ces mots, Charlie essaya de ne pas penser à l'image de son frère agonisant dans une congère, de garder sa voix calme et assurée, d'empêcher ses mains de trembler. Bon Dieu, ce n'était pas facile. Tout ce foutu job était beaucoup moins facile qu'il ne l'aurait cru.

- Allez, encouragea-t-il, autant pour sa fratrie que pour lui-même. On y va.

La petite troupe ramassa ses affaires, sans trouver de cœur à la tâche. Charlie souleva à nouveau Nans, qui semblait osciller dans et hors de l'inconscience. Victorine ramassa son arc et recompta ses flèches - hormis celle qui s'était perdue dans la nature lors de sa tentative peu glorieuse d'abattre une ombre, ses munitions étaient encore au complet. Judith, qui re-sanglait ses armes, lui jeta une œillade dubitative.

From Christmas with LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant