Chapitre 20 - Septième sens

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Atelier du Père Noël.

Une giclée d'hémoglobine noirâtre lui jaillit brutalement dans les yeux. Avec un juron, Charlie tenta de ré-ouvrir ses paupières, aveuglé par le liquide poisseux qui collait à ses cils, frustré par ses mains liées dans son dos qui l'empêchaient de s'essuyer le visage. Lorsqu'il parvint enfin à glisser un regard déboussolé par-delà la mélasse, il tomba sur le corps décapité de l'ombre, qui resta dressé sur ses pattes pendant encore une seconde de suspension avant de s'écrouler dans une mare de sang sombre, désarticulé. La tête graisseuse avait roulé jusqu'à sa jambe et s'était fait une cale de sa cuisse, comme put le remarquer Charlie avec une grimace de dégoût – mais la scène qui lui faisait face détourna rapidement son attention de ces considérations peu ragoutantes.

Élégamment apprêtée dans un long manteau couleur crème, dont le col à la fourrure immaculée rehaussait les arêtes pâles de son teint, une femme se tenait au milieu d'un tas de cadavres d'ombres encore chaud, négligemment appuyée sur un grand katana. La cinquantaine bien conservée – à vue d'œil, car Charlie savait qu'elle avait été plusieurs fois centenaire –, elle était frêle mais incassable, la stature mince dans ses épais vêtements, affûtée comme la lame d'acier sur laquelle elle reposait. Sous un chignon noir stoïquement tiré vers le haut de son crâne, deux yeux d'un bleu aigu – les yeux de Nans – le fixaient, imperturbables.

Les propres yeux de Charlie s'écarquillèrent.

— Putain, souffla-t-il – maman, qu'est-ce que tu fous là ?

Un mince sourire narquois étira les lèvres fines de Marysa Claus.

— L'accueil est toujours si royal dans cette famille, je me sens submergée d'affection...

Elle vint se planter devant son fils et le dévisagea d'un regard critique – des diverses couches de sang noir étagées sur son visage, de la plus coagulée à la plus récente, aux bleus qui jaunissaient les angles de son front, en passant par sa barbe en pagaille et son costume traditionnel de Noël si imprégné de crasse qu'on n'en distinguait même plus les couleurs d'origine. Voir sa mère froncer son nez fin, avec une répugnance contenue toute aristocratique, rappela à Charlie qu'il n'avait pas pris de douche depuis un temps indécent.

— Tu fais peur à voir, énonça Marysa.

Le jeune homme leva un sourcil blasé.

— Et c'est toi qui parlais d'affection ? ironisa-t-il.

Sans répliquer, mais la pointe de son sourcil toujours levé d'un air narquois, sa mère se pencha derrière lui pour le débarrasser de ses liens. Charlie accueillit avec joie le retour à la liberté, malgré ses poignets et chevilles engourdis et les élancements dans son coude qui reprirent de plus belle, forts de cette émancipation.

— Blessé ? quêta sa génitrice, en allant s'affairer auprès de Judith.

Charlie mobilisa doucement son bras droit. Le bref mouvement de rotation lui arracha une grimace, qu'il tenta de dissimuler du mieux qu'il put en cherchant jusqu'où il pouvait bouger son coude sans hurler de douleur.

Pas bien loin, s'avéra-t-il. Il n'était pas prêt de pouvoir tenir une arme à nouveau.

— Ça ira, grogna-t-il à sa mère.

Il se redressa péniblement contre le mur qui lui servait d'appui, puis passa un bras sous le corps de Judith pour la redresser à son tour. Débarrassée par leur mère de ses attaches et du bandeau qui lui couvrait les yeux, elle paressait dormir, ses paupières closes et ses traits détendus lui conférant un air drôlement enfantin, presque fragile, que son frère ne lui connaissait pas. Il dégagea les cheveux qui tombaient sur son visage, vérifia qu'elle respirait régulièrement – c'était faible, mais son souffle était là – et passa les doigts sur la croûte de sang séchée sur le côté de son crâne. La blessure ne semblait avoir entamé que le scalp, mais Charlie aurait tout de même préféré que sa sœur se réveille de son coma pour pouvoir checker ses capacités mentales.

From Christmas with LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant