Quelque part.
On aurait dit des ailes, à première vue. Lorsque l'on s'y penchait de plus près, on pouvait voir qu'il s'agissait en réalité d'immenses nageoires. Rattaché à ces appendices, le corps majestueux d'imposantes baleines fendait le ciel, musardant indolemment au milieu des nuages. À leurs côtés, des dirigeables chamarrés accompagnaient les cétacés dans leur voyage, qui s'étirait comme une valse lente dans le pourpre du ciel de soir. Ou peut-être était-ce le mauve du ciel de matin. Une légère brume blanchâtre enveloppait les lieux, noyant la question et la réponse avec.
Face à une telle scène, Judith aurait cru qu'elle s'était cogné la tête un peu trop fort en atterrissant, si elle n'avait pas ressenti la sensation rêche et picotante de l'herbe sèche sous son corps. Elle se redressa brusquement.
Autour d'elle, une grande étendue de broussaille grisâtre, à mi-chemin entre la savane et la forêt d'Europe, envahissait le tableau jusqu'à perte de vue. Le sol se vallonnait au fur et à mesure qu'il s'éparpillait, creusant des collines, des puys et des montagnes que ne recouvrait qu'une épaisse toison d'herbe fanée. Où que l'on regarde, il n'existait aucune trace de la main de l'Homme.
Judith savait où ils étaient.
Étalé à côté d'elle, Nans grogna et se redressa légèrement, poussant sur un coude pour tenter de s'asseoir. Son regard balaya les environs, d'abord hébété par leur récente chute - ou peut-être était-ce seulement la vision de baleines volantes qui lui provoqua cette réaction.
- Ça va ? quêta Judith en tendant un bras vers lui.
Nans se pencha pour attraper sa main et la serra dans la sienne. Il sentait tous les atomes de son corps frétiller et s'agiter sur place avec impatience, créant une ruche bourdonnante à l'intérieur de ses organes qui ne demandait qu'à jaillir hors de lui. Il savait ce qui avait déclenché cette vague brute d'énergie qui le parcourait ,il avait déjà vécu ce phénomène : ici, la magie imprégnait chaque recoin, chaque crevasse de l'Atelier de son père, suppléant plus ou moins bien ses maigres forces bouffées par la maladie. Pas au point qu'il se rétablisse complètement, mais il pouvait enfin marcher seul, au moins ; cependant, cette rémission n'était que provisoire, et le contre-coup lorsqu'il quittait les terres de l'Atelier ne le frappait qu'avec plus de violence.
- Ça va, répondit-il.
Pour une fois, il prononçait ces mots sans mentir.
Roulant sur elle-même, Judith bondit sur ses pieds, puis se tourna vers son frère pour lui tendre une main et l'aider à en faire de même. Nans s'en saisit et se releva à son tour, avec moins de fluidité et de grâce que sa cadette peut-être, mais il estimait déjà le fait que ses jambes tiennent sous lui, sans l'abandonner et se dérober à la première seconde, immensément satisfaisant.
- L'Illusion, déclara Judith en embrassant du regard les collines sèches qui se dressaient devant eux. Je ne l'avais jamais vue mais maman m'en a parlé. Et l'a assez bien décrite pour que je la reconnaisse.
- Évidemment, de tous les endroits infernaux de l'Atelier de papa, il a fallu que l'on tombe sur le pire, marmonna Nans dans un soupir.
- C'est vrai, alors ? La rumeur comme quoi toutes les peurs du monde sont enfermées ici ?
La bouche du jeune homme se tordit en une moue.
- C'est un poil plus compliqué que ça, mais l'idée est là, en quelque sorte...
- Qu'est-ce qui peut bien justifier le besoin d'un endroit comme ça dans l'Atelier du Père Noël, bon Dieu ? À part parce que papa est complètement dingo et qu'il aime bien parsemer son bureau de pièges mortels, juste pour le fun ?
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From Christmas with Love
Adventure1er décembre 2014, Pôle Nord. Le Père Noël a été enlevé. Bon gré mal gré, ses six enfants s'arment et se vêtissent pour se lancer sur ses traces, au cœur de la banquise glaciale, afin de secourir Santa et de le ramener à la maison avant la date fati...