Les poignées de mes cabas trop lourds me cisaillent les doigts, déjà glacés par le froid vif de février. J'aurais dû mettre mes gants, mais tant pis, je ne veux pas m'arrêter. Il est presque vingt heures et j'ai hâte d'être enfin chez moi.Je marche vite malgré le poids des sacs, m'amusant à souffler de la buée.
La nuit est tombée depuis longtemps, les quelques personnes que je croise baissent les yeux sur le trottoir brillant de pluie, la tête enfoncée dans leurs épaules pour se protéger du froid, ou des autres.
Enfin, j'arrive devant la porte de mon petit immeuble, je suis complètement gelée et mes clefs sont introuvables, comme toujours. Je dois poser les plastiques de la supérette au sol pour fouiller au fond de mon sac.
Je gravis ensuite les trois étages et soixante-douze marches qui me séparent de mon appartement.
Pas de douce chaleur pour m'accueillir, juste un froid cru. J'enclenche le chauffage et ne quitte mon manteau que pour enfiler un gilet. Je pose mes courses et vérifie mon portable que j'ai senti vibrer deux fois dans ma poche. Un appel de Matthieu, on verra ça plus tard. Un sms de Caro.
De Caro : Coucou, ça va ? Des projets pour ce soir ? On va boire un verre ?
Fait chier. Elle s'en est souvenue.
✨✨✨✨✨
Après ma douche, j'enfile un jogging et vide les sachets oubliés sur le plan de travail. Quatre yaourts à la rhubarbe. Des carottes râpées, deux briques de soupe, du fromage, des clémentines, du cif et du pain. J'adore regarder les achats des gens sur le tapis de la caisse. La bonne mère de famille qui achète en masse fruits, légumes et petits suisses. Le jeune homme qui tente de planquer les préservatifs sous un magazine. Le mec qui achète trois packs de douze et un saucisson. La petite vieille avec son escalope de veau et son camembert en portion individuelle. Mon panier à moi crie : « Célibataire ! Célibataire qui ne cuisine pas en plus ! » Bordel, j'ai oublié le chocolat.
Je me vautre sur mon canapé avec un bol de soupe « douceur de 8 légumes du potager ». Potager, tu parles. Comme toujours, la soupe est une horreur, mais avec un morceau de fromage et de pain, ça fera l'affaire.
Je fais l'effort de renvoyer un message à mon amie avant d'allumer la télévision.
De Louise : Oui, ça va mais grosse journée au boulot, suis crevée, je t'appelle demain.
Elle ne répond pas. J'espère que je ne l'ai pas vexée. Je sais que ça part d'une bonne intention, mais je ne veux pas ressasser la même histoire tous les ans, je veux juste qu'on me lâche avec ça.
Il est presque vingt-et-une heure quand on sonne. Non non et non, pas ce soir.
- Oui ? j'aboie dans l'interphone.
- C'est moi ! pépie Caro.
Mais évidemment.
- Non, je suis fatiguée là, et je bosse demain, je ne sors pas.
- Oui, j'ai compris, mais laisse-moi monter.
- ...
- Loulou... allez quoi, ouvre ! J'ai pris le DVD de « Coup de foudre à Notting Hill » ! On le regarde ensemble comme au bon vieux temps et j'y vais. A vingt-trois heures t'es au lit.
- Non, Caro, rentre chez toi.
Son ton change.
- Louise Morin, si tu ne m'ouvres pas, je vais chercher Capucine et Charlotte et on sera trois à te harceler.
- C'est bon, monte.
- Je ne vois vraiment pas pourquoi tu te sens obligée de me materner tous les dix février, j'attaque dès la porte ouverte.
Elle hausse les épaules.
- Pas du tout, je ne vois pas de quoi tu parles. J'avais juste pas envie de regarder la télé toute seule.
- Mais oui. « Coup de foudre à Notting Hill » alors ? Génial, ça fait bien trois mois que je ne l'ai pas vu. Tu veux de la soupe ?
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Oxymore
RomanceOxymore : n.m. Rhétorique Figure de style qui réunit deux mots en apparence contradictoires. (Larousse) Exemples : Un silence éloquent Une obscure clarté Les meilleurs ennemis Mon intime étranger