Chapitre 24

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C'est un peu compliqué de nous revoir. Entre ses gardes et sa fille, il n'a que peu de temps disponible. Par ailleurs, si nous ne souhaitons pas alerter le monde entier que nous nous fréquentons, il ne peut décemment donc pas demander à ses parents de garder Elena trop souvent, cela risquerait de leur mettre la puce à l'oreille.

Pour nous retrouver le mardi suivant, nous nous résignons à demander de l'aide à Capucine. Elle a l'air victorieux de Marraine La Bonne Fée qui a réussi à réunir deux âmes esseulées et, dans sa grande mansuétude, elle nous propose de prendre Elena à dormir.

Nous décidons de nous retrouver plus tôt pour profiter de la soirée, aussi, je rejoins Serge directement en sortant du travail. Afin d'éviter les ragots de mes collègues, je lui ai donné rendez-vous un peu plus loin, dans une rue parallèle. Je le vois de loin. Il est adossé à un mur de pierre et regarde distraitement autour de lui. Son visage s'éclaire quand il m'aperçoit à son tour.  Je me demande comment je dois me comporter en arrivant. L'embrasser sur la joue, sur la bouche ? Je résous le problème en restant à bonne distance de lui.

— Bonsoir Serge.

— Bonsoir Louise.

Il me sourit sans bouger, visiblement amusé par ma retenue, puis, très lentement, comme pour me laisser le temps de m'échapper si l'envie m'en prenait, il pose ses mains sur mes hanches et m'attire vers lui. Je sens son parfum musqué et mon sang s'échauffe d'un coup. Il m'observe un court instant puis ses lèvres se posent doucement sur ma joue. Tandis qu'il répète très bas « bonsoir Louise », il dépose un chemin de légers baisers jusqu'à ma bouche qu'il embrasse délicatement.

Mes jambes chancellent. Je suis à la fois charmée et déroutée par son attitude. Je lutte contre l'envie de le plaquer contre le mur et de plonger ma langue dans sa bouche, autant que je savoure l'exquise torture de l'attente. Je me demande un instant s'il est fin stratège ou simplement prévenant. Peu importe. Il est en train de me rendre accro et c'est tellement bon que j'en oublie de me protéger.

— Un ciné, ça te dirait ? Si on se dépêche, on devrait arriver à temps pour la première séance.

J'accepte avec plaisir et nous nous hâtons de nous diriger vers le cinéma où nous nous étions retrouvés pour la première fois il y a deux semaines. Il n'y a rien d'exceptionnel à l'affiche mais qu'importe, nous optons pour le premier film qui nous convient à tous les deux et qui n'a pas encore commencé.

La salle est quasiment vide. Les vieux cinémas du centre-ville, inconfortables et défraîchis sont délaissés pour les complexes rutilants qui fleurissent dans les zones de loisirs aux alentours de la ville.

Pourtant, moi, je préfère les fauteuils défoncés et le son pitoyable de ces antiques salles qui ont, à mes yeux, infiniment plus de charme que les monstres de périphérie qui obligent les clients  à passer dans une allée de confiseries avant d'accéder à l'écran géant en 3D.

Serge partage mon avis et nous nous installons sur les strapontins de velours rouge alors que la lumière s'éteint.

La séance de cinéma est une bonne idée pour un des premiers rendez-vous, elle permet de s'habituer progressivement à la présence de l'autre, et fournit un sujet de conversation pour l'après, même si je ne suis pas certaine que ce soit nécessaire dans notre cas.

Le film que nous avons choisi à la va-vite est un navet et je laisse mon esprit vagabonder avant de profiter de l'obscurité de la salle pour observer Serge à la dérobée. Il n'est décidemment pas mon genre. Pourtant, l'attraction que je ressens est vraiment forte, je n'arrive pas à comprendre à quoi cela est dû. Bien entendu, par sa douceur et sa réserve, il me rappelle Thomas, mais ce n'est pas la même chose non plus. Serge a dans les yeux une telle sagacité, une telle pondération que je sens instinctivement que je peux lui faire confiance. Le diable sur mon épaule me crie : « En Thomas aussi, tu avais confiance », et l'ange en face n'a rien à lui opposer, mais je me contente de l'ignorer.

Il finit par percevoir mon regard sur lui et tourne la tête dans ma direction. Je ne me cache pas et lui sourit timidement, il fait de même et prend ma main dans la sienne. Au bout de quelques minutes, il se penche vers moi pour chuchoter :

— Pas terrible, ce film...

— Tu es indulgent, j'aurais dit vraiment nul.

— On s'en va ?

— Oui !

Sans lâcher nos mains, nous ramassons sac et vestes avant de nous enfuir en gloussant.

— Je crois que je n'avais jamais fait un truc aussi fou, rit Serge, une fois dans la rue.

— Quoi ? Quitter la salle avant la fin du film ?

— Oui, j'ai l'impression d'être un rebelle.

J'éclate de rire à mon tour, mais m'arrête brusquement lorsqu'il encadre mon visage de ses mains.

— Tu es tellement belle, Louise, surtout quand tu ris ainsi.

Son regard est à la fois sérieux et pénétrant. J'y lis l'espoir d'un homme blessé qui cherche à se reconstruire. Il doit voir la même chose dans mes yeux, nous sommes peut-être faits pour aller ensemble.

Avec une infinie douceur, il approche son visage du mien et effleure mes lèvres, humant en même temps le parfum de mes cheveux. Je retiens mon souffle, le cœur battant et soudain, je n'en peux plus d'attendre son baiser et je colle mon corps contre la poitrine, et ma bouche sur la sienne. Il semble surpris l'espace d'une seconde mais il se reprend immédiatement et m'enlace, m'embrasse, mêlant fougue et tendresse. Quand nous nous détachons, il me serre contre lui et enfuit son visage dans mon cou pour reprendre son souffle. Je le sens ému et cela me touche aussi.

Les passants nous jettent de drôles de regards, nous jugeant sans doute trop âgés pour de telles effusions dans la rue. Cela nous fait rire.

— Décidemment, je n'aurai jamais brisé autant de règles que ce soir.

Nous nous décollons à contrecœur, pour partir à la recherche d'un bar à vin où grignoter fromage et charcuterie autour d'un bon verre. Presque timidement, Serge entoure ma taille de son bras et nous déambulons ainsi dans les rues avec sur le visage l'air niais des personnes simplement heureuses.

En fin de soirée, il me raccompagne comme d'habitude jusqu'à mon immeuble. Je passe le trajet à me demander si je dois lui proposer de monter. Je ne sais pas ce qu'il attend de moi, et je me questionne jusqu'à ce que je me souvienne que c'est d'abord à moi de décider de comment j'ai envie de finir la soirée. Encore faut-il que je fasse la part des choses entre mon désir et la meilleure façon de commencer cette jolie histoire. Et j'ai beau avoir hâte de découvrir comment il peut réinvestir sa douceur et la tendresse de ses gestes dans un lit, je crois que ce sera encore mieux si nous patientons jusqu'au prochain épisode.

Je me suis torturée pour rien, j'ai l'impression que l'idée de rester dormir avec moi ne l'a même pas effleuré.

— Je ne sais pas si tu as déjà des projets pour ce week-end mais Elena sera chez sa mère alors... murmure-t-il lorsque nous arrivons devant ma porte.

— Tu veux venir dîner à la maison samedi soir ?

Je regrette aussitôt, mais il semble tellement content que je n'ose pas me dédire.

— C'est une proposition ? sourit-il

— C'est une invitation, je réponds sur le même ton.

— Je viendrai avec grand plaisir. Que puis-je apporter ?

Hum, eh bien l'entrée, le plat et le dessert, sauf si tu aimes la paëlla en sachet...

— Rien, je m'occupe de tout.

— Je prendrai une bouteille de vin. Tu me diras si tu préfères du rouge ou du blanc.

— Oui, je te dirai.

— Bonne nuit alors.

— Bonne nuit.

Nous échangeons un baiser digne de nous faire patienter les quatre prochains jours et je rentre vite pendant qu'il s'éloigne.

Qu'est ce qui m'a pris de l'inviter à dîner ? Je n'ai pas cuisiné plus qu'un œuf sur le plat depuis des années, je vais me ridiculiser. Et puis, et surtout même, le dernier homme que j'ai invité à dîner c'était...

Non, il faut que j'arrête de me mettre des barrières. Je dois avancer.

OxymoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant