Chapitre 9

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— Quelle chance ! piaillent mes amies à qui j'ai raconté ma journée, de notre conversation du matin au cadeau de Tom, en passant par le dîner.

— A mon avis, c'est pas demain la veille que j'entendrai Kader me susurrer ce genre de chose...

— Chaque chose en son temps, ça ne fait que six mois que vous êtes ensemble, ne désespère pas Caro !

— Bah moi ça fait presque trois ans que je sors avec Thibaut et il ne m'a jamais fait une telle déclaration. Quant aux vacances, on n'est pas allés plus loin que Cap Breton !

— Arrêtez de vous plaindre les filles, au moins vous avez des mecs qui vous embrassent dans le cou et vous concoctent des dîners ou organisent des voyages surprise, moi j'ai personne !

— Parce que tu nous envies peut-être ? raille Capucine.

Charlotte nous regarde à tour de rôle et esquisse une petite moue.

— Non, pas tant que ça en fait.

J'ai du mal à comprendre comment deux jumelles peuvent être si différentes. Charlotte est une grande brune, pétillante et avide de liberté. Capucine fait une tête de moins que sa sœur, ses cheveux blonds coupés au carré et ses lunettes traduisent son côté sage, son besoin de stabilité. Pourtant, elles ont le même visage. Les même yeux verts, les mêmes joues rondes, les mêmes oreilles mal ourlées à cause de leur naissance précipitée.

Elles ont beau avoir des traits de caractères opposés, elles n'en restent pas moins aussi complémentaires que complices.

— Bon et ce voyage alors ? Dix jours en Italie, quelle chance !

— Oui, ça va être génial... On prend l'avion le lundi matin pour Rome, on y passe quatre jours, puis le train vendredi pour Sienne où on reste deux nuits je crois et enfin Florence d'où on reprend l'avion pour rentrer mercredi.

— Et il s'est occupé de tout ? Les billets pour les transports et les hébergements ? demande Capucine, impressionnée.

— Oui, tout est prêt. Il ne nous reste que les repas à payer sur place.

— Eh bien, dis donc, il t'a gâtée ! Mais sans indiscrétion, comment il a financé ? C'est pas avec son salaire à la BU qu'il a pu payer tout ça quand même ?

— Oui, bon ça c'est moins cool, mais souvenez-vous que moi je n'ai rien demandé hein !

— Vas-y, Lou, crache le morceau.

— Bon, vous savez que Tom vient d'une famille très aisée. Ses parents brassent beaucoup d'argent et sa grand-mère maternelle est disons... riche aussi. Pourtant, ses parents refusent de l'aider à financer ses études, ils considèrent qu'il doit assumer ses choix. Néanmoins, sa grand-mère lui verse, à lui ainsi qu'à ses sœurs, un petit pécule tous les ans. Cet argent est placé sur un compte épargne, mais il lui a demandé lors du dernier versement, en octobre, s'il pouvait exceptionnellement en profiter et après d'âpres négociations, elle a accepté.

— T'es en train de nous dire qu'il a payé ce voyage avec l'argent de son épargne ?

— Ecoutez les filles, je ne cautionne pas. Il l'a fait sans m'en parler, sinon je lui aurai dit que ce n'était pas raisonnable. Mais franchement, les voyages sont la passion de Thomas, ça fait longtemps qu'il rêvait de retourner en Italie. Et puis il a déjà une très belle somme de côté, il peut bien en utiliser un peu maintenant qu'on est jeune...

— J'ai un peu de mal à comprendre, mais ça ne me regarde pas, grogne Capucine. En même temps, je suis tellement jalouse.

Caro acquiesce en riant.

— Moi je trouve que c'est incroyablement romantique, s'enflamme Charlotte. Et puis Rome quoi ! La Toscane ! Il n'aurait pas pu mieux choisir !

Avant de me coucher, je regarde à nouveau les billets, si impatiente d'y être.

Comme chaque soir, je fais tourner autour de mon poignet la petite chaîne orné d'un signe « infini » qui ne m'a pas quitté depuis un an. L'infini. Je suis tellement heureuse.

✨✨✨✨✨

Comme l'an dernier, le mois de décembre passe à toute allure. Entre la fac et mes heures à la boutique, je souffle à peine, et n'ai que quelques soirées à consacrer à Thomas ou mes amies. Je travaille jusqu'au vingt-quatre décembre mais cette année, Tom et moi fêtons Noël ensemble. Il m'accompagne dans ma famille, qu'il connaît bien à présent, pour le réveillon et je suis invitée chez ses parents pour le déjeuner de Noël. C'est la première fois que je rencontre les siens, je suis un peu anxieuse.

Jean-Paul et Kate sont tels que Tom me les avait décrits. Aussi gentils que froids. Une certaine hauteur sous une apparente décontraction. Malgré leur ton affable, ils ne me mettent pas en confiance, d'autant que je sais que je ne suis pas le parti dont ils rêvaient pour remettre leur fils dans le droit chemin.

Les sœurs de Tom, ressemblent, en revanche, plus à leur frère. Sarah est en première année au lycée français de Luxembourg, et même si elle est en pleine crise d'adolescence, il semblerait que je trouve grâce à ses yeux. Emma, quant à elle, a douze ans et les joues rondes. C'est un gros bébé qui sort à peine de l'enfance et elle passe la journée collée à moi. Je sais qu'ils sont proches tous les trois, et c'est l'un de nos points communs, sauf que moi j'ai en plus la chance d'avoir les meilleurs parents du monde.

Eleanore, la Granny de Thomas est présente aussi, et je comprends d'où viennent les yeux bleus de mon amoureux mais surtout le manque de chaleur de la famille. Heureusement que ça a sauté une génération.

Tom est déçu car sa cousine Solène et ses parents, la sœur et le beau-frère de son père ont annulé au dernier moment pour aller passer les fêtes à la montagne. Comme je les comprends. Mais j'ai de la peine pour mon chéri qui se réjouissait me présenter sa cousine qu'il adore et qu'il ne voit que rarement.

Nous sommes donc sept à table. Je suis un peu triste car j'ai abandonné une tablée de vingt pour l'accompagner, et je trouve le déjeuner bien morne malgré les éclats de voix de Sarah, les éclats de rire d'Emma, aussi vite tempérés les uns que les autres.

La salle à manger de la luxueuse maison d'architecte et les mets fins du meilleur traiteur du Grand-Duché finissent de me mettre mal à l'aise. Subitement, mon frère et mes parents me manquent, alors que nous avons passé la soirée ensemble la veille. J'ai envie de dinde aux marrons, de fromages au lait cru et de bûche praliné servis dans des plats en faïence. Je veux du bazar dans le salon, d'un sapin avec des décorations de bric et de broc, des miettes sur le tapis, des cris et des rire, et même entendre mon père et Nico s'engueuler.

Plusieurs fois, Tom croise mon regard et dans ses yeux je lis un « désolé » silencieux qui me fend le cœur. Je prends conscience de la chance que j'ai d'être née dans une famille soudée et aimante. De combien ça doit le blesser quand il me voit avec eux. Et je trouve incroyable qu'il puisse me donner tant d'amour alors qu'il n'a jamais rien reçu d'autre qu'une affection distante et modérée de la part de ses parents.

Je ne me détends que dans le taxi qui nous dépose à la gare en fin d'après-midi. Son père n'a pas souhaité nous raccompagner lui-même. Thomas reste silencieux. Je ne sais pas quoi lui dire, comment lui faire comprendre que ce n'est pas si grave, alors que ça l'est peut-être pour lui. Il finit par rompre le silence en sortant du taxi.

— Heureusement qu'on n'est pas obligé d'y aller tous les dimanches midis, fait-il avec un sourire un peu triste.

Je l'embrasse sans répondre. Je ne sais pas encore que je ne reverrai jamais ses parents.

✨✨✨✨✨

Dernier chapitre au passé pour le moment, avant un retour ponctuel en 2017. Il faudra attendre encore un peu pour savoir ce qui s'est passé entre Thomas et Lou...

Bonne journée !

OxymoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant