Chapitre 23

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Je passe le début de la semaine sur un petit nuage. Pour la première fois depuis sept ans, je sens l'enthousiasme renaître. Ce n'est encore rien, bien sûr, nous n'avons même pas échangé ne serait-ce qu'un baiser mais je suis impatiente de le voir.

C'est nouveau pour moi, les hommes qui sont passés dans ma vie ces dernières années m'ayant laissée plutôt indifférente. Je n'en suis pas à imaginer déclaration, mariage et bébé, mais je me sens enfin prête à envisager de vivre une relation simple et respectueuse. Et par sa galanterie désuète, il a réussi à faire battre mon cœur à nouveau, je n'arrête pas de me demander comment va se passer notre prochaine entrevue, s'il m'embrassera... Il pourrait être un bon scénariste de séries télévisées, j'attends l'épisode suivant avec hâte, alors qu'avec les autres je savais toujours à l'avance où et comment ça allait se finir.

Il y a bien des moments où je doute, j'ai peur que rien ne débouche sur ces quelques rendez-vous, nous ne nous sommes vus qu'une fois après tout, nous ne sommes peut-être pas compatibles. Néanmoins, je parviens à rester optimiste, ce qui est décidément aussi une grande première.

Je n'ai pas dit à Capucine que nous avions prévu de nous revoir. Tant pis s'il vend la mèche de son côté, il se débrouillera avec ses questions hystériques. Moi, je préfère me préserver, et éviter de la rendre dingue. Quand elle m'a posé la question, je lui ai juste dit que nous nous reverrions quand nous aurions du temps. Elle s'est agacée que nous ne fassions pas plus d'efforts pour nous rendre disponibles, et j'ai haussé les épaules. Elle a semblé croire que nous ne nous étions pas vraiment plus. Elle était déçue mais c'est plutôt une bonne nouvelle pour ma santé mentale future.

Je profite de mon jeudi de congé pour faire un peu de ménage, et aller chez le coiffeur, puis je me prépare en prenant soin de choisir des vêtements différents de la première fois. Un slim en jean, une chemise noire, une veste de tailleur et des escarpins. On peut être féminine sans robe, je ne veux pas qu'il s'imagine que je cherche à le séduire avec mes jambes. Bon, ma chemise est un peu décolletée mais mon 85B ne la rend pas vraiment provocante. 

Il est vingt heures précises quand il sonne, et je descends les escaliers légère, le sourire aux lèvres.

Il m'attend à quelques mètres de mon entrée et se penche pour m'embrasser sur la joue quand j'arrive à sa hauteur.

— Jolie tenue, souffle-t-il.

J'éclate alors de rire, nous sommes habillés de la même manière, à la différence près que sa chemise est blanche.

— Mais je dois avouer que tu la portes mieux que moi...

Son regard s'attarde très légèrement sur ma poitrine, et je me sens rosir.

— Je me suis permis de réserver à « la table de Paul », est-ce que tu connais ?

— Non, pas du tout.

— C'est une très belle cuisine, produits frais du marché, producteurs locaux, uniquement du fait maison. On y mange très bien. Est-ce que cela te convient ?

— Oui, c'est parfait, je te suis.

— C'est délicieux, tu verras.

Je n'ose pas lui dire que je ne suis de toute façon pas difficile, vu ce que j'avale le reste du temps.

Nous marchons un petit quart d'heure, en bavardant jusqu'au restaurant, situé dans la vieille ville.

C'est une toute petite salle, très intime. En ce jour de semaine, il n'y a qu'un autre couple, et une tablée d'amis qui font juste assez de bruit pour que nous puissions poursuivre notre conversation sans chuchoter.

La cuisine est effectivement délicieuse, à la fois simple et délicate. Cela me rappelle les petits plats de ma maman, en plus raffinés bien sûr.

Au fur et à mesure de la soirée, notre discussion prend un tour plus intime. Il évoque Valérie, son ex-femme, comment il a découvert qu'elle avait une liaison depuis huit mois le jour où elle les a quittés, lui et leur fille, pour suivre son amant muté en Belgique. J'imagine sans peine sa douleur, son désarroi, seul avec sa petite de trois ans, sa famille éclatée, son mariage piétiné. Pourtant, il parle d'elle sans colère, sans hargne. J'admire son flegme. J'aimerais pouvoir maîtriser mes sentiments de la sorte, être capable d'autant de retenue.

A mon tour, pour la première fois, je raconte mon histoire. Seul les personnes qui m'entouraient à l'époque savent par quoi je suis passée, et même si je n'entre pas dans les détails, j'explique à Serge que moi aussi, j'ai vécu une histoire qui m'a profondément blessée. Il ne semble pas très étonné. Soit il est très observateur, et avait compris seul, mais à mon avis, c'est plutôt Capucine qui lui en avait parlé. Je la vois très bien faire ses recommandations : « C'est une fille super, mais elle est un peu aigrie, tu comprends, son mec l'a laissée tomber il y a sept ans, et elle ne s'en est jamais remise. Faudra être gentil avec elle. »

Quand je me tais, les yeux dorés de Serge cherchent mon regard. Il esquisse un petit sourire, et murmure :

— Maintenant que nous nous sommes raconté notre passé, nous pouvons peut-être tirer un trait dessus, et penser au futur.

Je n'essaye même pas de masquer mon trouble. Face à lui, je n'ai plus envie de faire semblant.

Il est plus de vingt-trois heures quand nous quittons le restaurant et reprenons le chemin de mon appartement.

— J'aurais adoré prolonger la soirée, s'excuse Serge, mais il faut que j'aille libérer mes parents.

— Et tu te lèves très tôt...

— Ça, ce n'est pas grave, j'échangerais volontiers quelques heures de sommeil contre du temps en ta compagnie.

Je frissonne à ces mots, sans pour autant réussir à lui avouer que la réciproque est vraie.

Il ne fait pas froid en cette fin d'avril, et c'est agréable de marcher dans la douceur de la soirée, surtout après notre copieux repas. Nous arrivons trop vite en bas de mon immeuble, et mon pouls s'accélère en me demandant comment on va se quitter.

Serge sourit.

— Heureusement que c'est notre deuxième rendez-vous, je vais peut-être réussir à trouver mes mots cette fois...

Je pouffe, et il repend plus sérieusement.

— Louise, j'ai passé une merveilleuse soirée en ta compagnie. Je me sens bien avec toi.

— Moi aussi Serge.

— Est-ce que tu me permets de t'appeler à nouveau, pour qu'on se revoit ? Je sais que je ne suis pas le parti idéal, avec mes années de plus, et un enfant, mais j'ai la sensation qu'il se passe quelque chose entre nous.

— Je ressens la même chose et je serais ravie de te revoir. Une autre fois, et d'autres encore ensuite.

Un léger sourire passe à nouveau sur son visage. La douceur même.

— Louise, je ne sais pas ce que tu attends de moi maintenant, et je casse peut-être ce moment romantique, mais je dois te dire que je ne peux pas t'embrasser comme j'en ai envie, sinon je n'arriverai jamais à te laisser rentrer chez toi, ni à patienter sagement jusqu'à notre prochain rendez-vous, or, je dois rester un adulte et un papa responsable.

Avant que je n'ai le temps de répondre, il se penche vers moi, et effleure ma bouche de ses lèvres puis murmure : « Bonne nuit Louise » avant de s'enfuir.

Vivement le prochain épisode.

OxymoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant