Chapter IV

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Je traîne en ville plusieurs heures, longeant les routes et boutiques et ne regagne la pension que dans la soirée.

- Ymir est rentrée ! crient les jumeaux, tentant de s'enfiler mutuellement leurs pyjamas.

Je souris devant leur attitude. Ils sont si jeunes et naïfs. Je les envie quelque part mais je ressens également de la pitié envers eux. Je crains le jour où ils découvriront la vérité sur ce bordel infernal qu'on ose encore appeler vie.

C'est alors que Madame fait sa magistrale apparition, faisant par la même occasion disparaître les deux enfants.

- Ymir, sais-tu quelle heure il est ? Tout le monde a déjà diné.

Je baisse légèrement la tête et commence à monter les marches du grand escalier.

- C'est bon, je n'ai pas faim de toute façon. Je vais me coucher. Bonne nuit.

Je ne me retourne pas et gagne ma chambre. Il y fait froid, sombre et l'atmosphère semble même moite. Les volets sont fermés mais la fenêtre est ouverte permettant à la pièce de s'aérer.
Cette même pièce encombrée par les vêtements et les canettes en tout genre jonchant le sol.

Malgré tout la chambre n'est pas sale, aucune trace de poussière ou d'une goutte de soda. Je suppose que je suis plus soigneuse qu'il n'y paraît.
En revanche niveau ordre je suis véritablement à la ramasse. Au milieu de cette antre trône fièrement une table basse, mon bureau lorsque je le décide.

Enfin, je ne travaille que la littérature, évidemment la matière qu'enseigne Mai.

Je me déshabille afin de me retrouver en caleçon et m'étire.

Dans ma chambre, aucun miroir, cet objet est sans doute le plus pervers et narcissique qui soit et je trouve le fait de s'admirer sois-même particulièrement malsain. Il y en a tout de même un dans la salle de bain, évidemment et ça me suffit amplement.

Soudain, dans un claquement de porte violent, des bruits de pas rapides et une chevelure rousse flamboyante se font remarquer. La petite fille court, saute sur mon lit et se jette sur moi.

- Ymir ! crie cette dernière.

- En effet Yuna, c'est bien moi.
La seule, l'unique, la véritable !

Son rire envahit la pièce, m'arrachant un sourire. Mais rapidement elle cesse et me détaille.

- Bah ! T'es toute nue ?

Bien sûr, la petite fille ne m'a pas prévenue de son arrivée, cependant j'ai quand même réussi à me couvrir un minimum la poitrine. Un minimum, car une partie est toujours visible, chose que je viens seulement de constater. Je prends donc la peine de me glisser davantage sous la couette avant de lui répondre.

- Non je ne le suis pas. Mais c'est pas poli de regarder la poitrine d'une fille sans y avoir été invitée !

Je décide de la chatouiller en guise de punition. J'arrête quelques minutes plus tard, voyant les larmes de rire perler au coin de ses yeux. Elle reprend son souffle assez rapidement et me regarde d'un air attentif comme si elle essayait de savoir si je suis énervée ou non, si je suis joyeuse ou non, comme si elle attendait de m'avoir suffisamment analysée pour me poser une question.

- Dis Ymir, je peux dormir avec toi ?

- Bah bien sûr ! Mais je dois d'abord aller prendre une douche, donc attends moi ici, je ne serai pas longue.

- Oui vas-y, tu pues. rétorque t-elle en me poussant et se pinçant le nez.

Je lui lance un regard faussement outré, me lève dos à elle bien sûr et enfile un T-shirt. Je pense qu'elle en a bien assez vu pour aujourd'hui, inutile d'en rajouter.

Je quitte la pièce désormais bien plus chaleureuse et me dirige vers la salle de bain de notre étage. Mikasa vient justement d'en sortir. Ses cheveux ébène coulent sur son haut mais cela ne semble pas la préoccuper plus que ça. Imperturbable.

Une fois dans la salle d'eau je me déshabille, prenant bien soin de ne pas me regarder dans le miroir. Je délaisse mes vêtements sur le sol, fais couler l'eau pour qu'elle se réchauffe et entre sous la douche.

L'eau brûlante glisse sur mon corps. Elle paraît cruelle lorsqu'elle chauffe les plaies mais si sensuelle lorsqu'elle s'aventure intimement. Mes cheveux mouillés tombent sur mes épaules. Je me courbe en arrière, ma poitrine est alors la première à souffrir, s'en suit mon ventre, mes cuisses, mes genoux et enfin mes pieds.

Une fois cette torture terminée, je passe brièvement devant ce satané miroir, je refuse de m'y attarder mais me force à m'inspecter. Ces cheveux sombres et coupés négligemment, ces tâches tout aussi sombres recouvrant mon visage et ces yeux sombres comme tout mon être.

J'enfile de nouveau mes vêtements de nuit et regagne la chambre.

En ouvrant la porte j'y découvre Yuna endormie sur le ventre. Je la couvre avec la couverture et m'installe à ses côtés. Mon regard se perd dans sa chevelure flamboyante emmêlée. Son pyjama trop grand laisse apparaître les tâches de rousseur qui recouvrent son dos.

Je finis par m'endormir après quelques minutes de contemplation. Elle est si pure, si innocente, son souffle calme et paisible en témoigne. Mais son attitude et sa vision du monde vont changer tôt ou tard.

Mes pensées dérivent, l'enfance, l'enfer ; deux étapes successives. On sort tous de la première, obligatoirement. Mais la deuxième, la seconde est une peine à perpétuité.

Ces pensées fatales ont finalement raison de moi, comme chaque soir.

Lorsque j'ouvre les yeux je sens un poids sur moi.

- Yuna...

- Oh ! Coucou Ymir ! T'es vraiment trop confortable ! Tu devrais t'appeler « coussin » !

- Ouais bah le coussin va t'écraser si tu ne bouges pas immédiatement.

- Ah non ! T'es trop grosse !

- Non mais dis-donc toi !

- T'es vraiment grognon le matin toi !

Après environ un quart d'heure d'intense dispute nous cessons et descendons déjeuner.

Il n'y a qu'une cuisine mais deux salles à manger distinctes de part et d'autre de cette dernière. Lorsque je suis arrivée Madame voulait que nous mangions tous ensemble comme une vraie famille. Mais avec le temps et les nouveaux arrivants nous nous sommes rapidement rendus compte que nous n'étions et ne serions jamais une famille.
Alors l'aménagement de la seconde salle était la meilleure option.

Les enfants dinent une heure avant nous pour pouvoir se coucher plus tôt, en théorie du moins. Mais les autres repas sont bien moins désagréables lorsque le bruit est séparé de mes oreilles par une cloison, aussi simple soit-elle.

Néanmoins Yuna prend souvent son petit déjeuner avec moi. Comme nous sommes arrivées en même temps nous avons le droit de rester ensemble aux repas et le matin est en général plus calme que le reste de la journée, alors le fait qu'elle mange avec les « grands » donc nous, ne dérange pas.

- Vous voilà vous deux.

L'atmosphère change. Les quelques personnes présentes continuent de manger comme si de rien n'était mais Yuna et moi sommes concernées par cette interpellation et ne pouvons le nier.

- Yuna, combien de fois vais-je devoir te dire que tu ne dois pas quitter ta chambre durant la nuit ?

La petite fille la regarde d'un air désolé ; elle s'en veut.

- Pardon Madame... Mais j'ai fait dodo avec Ymir parce que je ne l'avais pas vue depuis... Beaucoup !

- Ce n'est pas une raison.

Elle se tourne vers moi, son regard me transperce.

- D'ailleurs Ymir, j'aimerais que tu cesses de quitter le foyer comme bon te semble. Je sais bien qu'hier tu n'as pas daigné converser avec moi mais tu n'es pas encore majeure donc d'ici là tu ferais mieux de te tenir à carreaux et d'obéir.
Il y a des règles ici et tu dois les respecter.

Out [YumiKuri]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant