VIII - Tia

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Je gardais les yeux fermés alors que le réveil sonnait. Cet appareil maudit avait repris du service, alors que je tirais un peu plus la couverture sur moi pour conserver la chaleur d'un lit bien douillet. Je grognai une fois contre ma mère qui me disait d'accélérer le rythme et d'éteindre cette horrible chose qui émettait un bruit particulièrement désagréable. Une claque vers ma table de nuit suffit à lui faire fermer son clapet, me permettant de profiter du silence si agréable du petit matin. Les oiseaux chantaient, je les entendais piailler derrière mes volets. J'aurais voulu rester ainsi toute ma vie, dans ce flottement si parfait où aucunes pensées ne venaient perturber mon entrée dans l'autre monde, celui de l'humain déjà réveillé et debout depuis une heure, qui se préparait des tartines dans la cuisine et qui vous faisait profiter du bruit ignoble de la machine à café. Je me levai comme un zombi, résultat sûrement de mes nombreuses insomnies, sans réaliser le pourquoi de tout ce ramdam. Puis tout me revint en pleine face : la rentrée, la première S, le lycée, sans lui... Ma vue se troubla quelques secondes alors que je me sentais vaciller dangereusement vers le coin de mon lit. Mon cœur était reparti de plus belle, et je me souvins alors de la veille, du stress qui m'avait noué la gorge, des haut-le-cœur, de mes mains tremblantes tandis que je refermais silencieusement la fermeture de mon sac de cours. Pendant deux mois j'avais refoulé ce moment, le laissant en périphérie, comme s'il n'était qu'un mirage qui n'allait jamais se réaliser. Pourtant j'y étais : dans cinq minutes, je devrais prendre ma douche, m'habiller, manger sur le pouce puis marcher vers l'arrêt de car, en banlieue de mon royaume. J'allais retrouver mes semblables, j'allais devoir me mêler à eux, me laisser engloutir dans la nuée de jeunes qui reprenaient le chemin des cours, blasés, encore endormis pour la plupart, ou simplement heureux de retrouver la bande de pote qu'ils avaient promis de revoir pendant les vacances et avec qui ils n'avaient jamais réussi à fixer de date. Je restai assise le temps que mon vertige passe, cherchant dans ma mémoire quelle phrase il aurait pu me sortir s'il avait été là. Mais mon cerveau refusait de coopérer, et mes jambes n'étaient plus que du carton incapables de me soutenir.

Je dus malgré moi aller sous le jet d'eau chaude rapidement, histoire de ne pas louper mon bus dès le premier jour, comme me l'avait si gentiment dit ma mère, le nez dans un magasine de mode avec un café fumant dans la main droite.

- Ne traines pas trop, et n'oublis pas que Sacha t'attends ! s'écria-t-elle avec un enthousiasme sur-joué.

Je grommelai pour la forme, mais je n'en menais pas large. Une fois coiffée, j'hésitais à lui faire part de mes doutes et de mes inquiétudes, quand une petite voix vint s'immiscer par-dessus la radio dont le volume était monté à fond. Elle ne m'écouterai pas, de toute façon : elle était la reine de l'esquive en ce qui concernait les sujets brûlants. Je voyais bien que ma mère faisait cela pour me faire plaisir, elle qui détestait mes stations préférées, mais mon envie de vomir m'empêchait clairement de la remercier. A chaque seconde supplémentaire, à chaque mouvement de trotteuse qui continuait, ignorante de mon inquiétude, de me rapprocher de l'heure fatidique, je me demandais si j'allais réellement vomir ou non, ou si je devais le faire chez moi en prévention (plutôt que dans ma classe, devant des élèves que je ne connaissais pas ou trop peu). Mes doigts vinrent comme toujours caresser le tissu doux et légèrement râpeux de mon bracelet, qui ne me quittait pas. Même pour dormir, il me tenait compagnie. Je l'agrippais toujours quand ma mère apparut sur le seuil de l'entrée, mon sac dans la main.

- Allez, active-toi ! Tu vas devoir courir sinon.

J'attrapai d'un geste sec l'objet qui m'appartenait et que j'avais renié depuis le début de ces vacances. Pas un baiser, pas un au revoir : je franchis le pas de la porte avec appréhension, laissant la fraîcheur du matin que je connaissais si bien me dire bonjour. Mon mal de ventre ne me quittait pas, et je dus me résoudre à cette évidence ; il allait m'accompagner comme un vieil ami jusqu'à la fin de la journée. Et la première épreuve était juste devant moi : l'arrêt de car.

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant