XII - Iris

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La semaine s'était déroulée sans fantaisies ni histoires. Nous n'avions pas reparlé de cette soirée, c'était un secret entre nous, et cela nous rendait plus proche que je ne l'aurais cru, malgré nos échanges parfois timides. Ce n'était pas le même décors, et aucune de nous deux ne semblait véritablement à l'aise dans le milieu scolaire. On avait nos raisons, même si je ne connaissais presque rien des siennes. Je me méfiais des gens de mon âge, même si je veillais à rester sociable pour ne pas faire parler de moi, et pour ne pas véhiculer une image de nouvelle élève coincée. Tia, elle, adoptait la stratégie inverse : elle esquivait toute conversation avec un élève qu'elle estimait ne pas connaître assez. Et l'image que me dépeignait certains élèves un peu trop sûr d'eux ne correspondait pas à la fille que je connaissais. Quand j'essayais de les contredire, ils haussaient les épaules en répétant qu'elle était et avait toujours été un peu « chelou », mais que cette année « elle avait clairement un problème dans sa tête ». Je répondis une fois à un de ces gars que le problème venait surtout de ce que les gens comme lui pensait d'elle, et il haussa les épaules avant de rétorquer qu'il y avait toujours une part de vérité dans la rumeur, qu'il n'y avait pas de fumée sans feu, qu'après tout, à force de tourner le dos à tout le monde, elle l'avait un peu chercher, et d'autres conneries dans le genre. Je grommelais un vague « T'es qu'un pauvre mouton totalement minable » et m'éloignai en me jurant de ne plus jamais reparler à ce type. Je ne recouvrai mon calme qu'après les deux premières heures de cours de la journée, bien que je ruminais toujours pendant la pause en repensant à tous ceux qui m'avait collé une étiquette sur le dos, et à ceux qui n'avait pas chercher à savoir qui était vraiment cette fille qui avait eu tout le lycée contre elle en moins de deux semaines.

Je passais mes pauses avec sa bande, ou plutôt celle de Sacha : Tia ne paraissait pas très à l'aise en présence de Justine et Baptiste, mais leurs caractères légers et faciles à vivre eurent finalement raison de sa méfiance. Elle s'appuyait énormément sur sa meilleure amie lorsque les rumeurs s'intensifiaient sur notre chemin, jetant des regards anxieux à droite et à gauche, ou s'apprêtant à mordre au moindre regard en biais. Si je ressentais son angoisse, ce n'était pas grâce aux expressions de son visage ; il était impénétrable, glacial même, mais ses doigts allaient et venaient sur son bracelet. Cette carapace de méfiance empêchait les autres de voir à quel point elle se sentait vulnérable. Je connaissais cette sensation poisseuse qui s'imposait à nous avec un sourire mesquin et un uppercut dans notre fierté et notre confiance en soi.

Et ces murmures qui bruissaient au son des on-dit et du mensonge, je les connaissais aussi. Je connaissais même trop bien le poids invisible qu'ils transportaient, et qu'ils infligeaient à ceux qui en étaient victimes.

Mais rien n'indiquait que les conversations étaient uniquement dirigées sur nous, ce qu'elle avait du mal à voir. J'essayais donc détourner son attention grâce à Sacha, et de faire en sorte qu'elle n'y pense pas tout le temps. Je ne savais pas le pourquoi de ces chuchotements sur notre passage, mais j'avais le sentiment qu'ils baissaient en intensité, au moins un peu, si on oubliait le commentaire du gars de ce matin. Les choses semblaient se tasser, sans que je sache lesquelles. L'effusion de la rentrée était terminée, laissant place à la routine morne de la vie lycéenne.

Je voulais en apprendre plus sur elle, je ne le niais pas. J'avais envie de comprendre ce à quoi elle pensait quand elle laissait son regard dériver vers la fenêtre, le menton dans le creux de ses mains, les lèvres pincées, avant de revenir avec nous, dans la classe, pour tenter de raccrocher son wagon à celui de la prof d'espagnole qui avait décidément un effet soporifique puissant. Je n'arrivais pas à ne pas laisser mon regard glisser dans sa direction, c'était plus fort que moi. Je voulais savoir ce qu'il se cachait derrière cette carapace d'humour et de colère. Je pouvais rester plusieurs minutes à la chercher dans la foule, le matin, et bien avant de la rejoindre, je l'observais. Dès que nos regard se croisaient, je me remettais à marcher vers elle, sans pour autant arrêter de la fixer. Elle avait un de ses regards qui pouvait exprimer mille et une chose à la fois, mais ce qui me marquait était la confiance qu'elle dégageait pour moi. Elle m'avait fait confiance pour ma vengeance d'Alex, alors qu'elle ne savait rien de lui et de moi. Elle ne m'avait plus jamais redemandé ce que j'avais entendu sur elle. Cette fille m'intriguait. Mieux, ou pire ; elle me fascinait.

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant