II - Tia

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- Putain, mais t'es qui toi ?

Je ne m'attendais pas à meilleure réaction, si bien que j'éclatai de rire. Qu'est-ce que j'imaginais ? Qu'elle m'accueillerait les bras grands ouverts pour que je pleure avec elle ?

Elle était pétrifiée ; si elle avait eu un couteau, je n'aurais pas fait long feu.

- Tu me réponds, oui ou non ? Je peux savoir ce que tu fous ici, chuchota-t-elle pour ne pas ameuter le quartier.

J'éclatai de rire de nouveau. En deux secondes, elle avait remis en cause toutes mes actions de cette nuit, et cela m'amusait plus que cela ne me gênait. Au point où j'en étais, je n'y faisais plus vraiment attention.

Elle arrêta de gesticuler pour me dévisager lentement, autant que ma position le lui permettait. Je ne la regardais pas : j'avais une idée très définie de l'intimité, et je trouvais irrespectueux de la regarder comme une bête curieuse en train de sécher ses larmes. Je ne pleurais jamais (ce qui expliquait peut-être pourquoi voir quelqu'un pleurer me bouleversait autant) mais j'aurais détesté qu'une inconnue assiste à un tel moment de vulnérabilité. Son regard ne me quittait pas ; je le sentais plus que je ne le voyais. Un rire nerveux remonta dans ma gorge.

- Je ne suis pas un animal fantastique, tu sais ; pas la peine de me fixer comme si j'étais irréelle !

Je me redressai cette fois, sans toute fois la regarder. Bon, il se pouvait que mon regard errait parfois à ma droite, sur ses cheveux bruns (j'avais eu raison), et ses yeux noirs de reproche. Je n'arrivais même pas à entrevoir leur vrai couleur.

- Ça ne m'explique pas d'où tu sors, dit-elle en croisant les bras.

Elle semblait attendre une justification de ma présence en ces lieux, avec elle dans les bois, l'eau trouble et sombre de l'étang en guise de point de vue. Mais je n'en avais pas. J'étais là parce qu'une force bizarre m'avait poussé ici, c'était tout. Parfois, il ne fallait pas chercher plus loin.

- J'appelle ce quartier mon royaume, commençai-je. J'y suis depuis que je suis toute petite, alors je connais bien cet endroit. Et ce sous-bois, c'est mon quartier général. C'est un repère, un refuge. Personne ne vient ici, ou du moins je n'y ai jamais croisé personne. Il faut dire que c'est un petit royaume. Mais j'aime regarder le ciel d'ici. Pas trop de pollution lumineuse, un toit de feuillage, et perçant à travers cette voûte, la lumière du ciel noir. Au moins, quand tout part en vrille, on sait que les étoiles ne vont pas disparaître. Que la terre tournera toujours autour du Soleil et que les cycles de la lune continueront de rendre chaque nuit unique. Que même si on a l'impression que le ciel est tombé sur nos épaules, il est toujours là-haut, et qu'il le restera, peu importe ce qu'il se passe ici-bas.

Je laissai passer une minute, le temps que mon cœur se calme. Des souvenirs arrivaient en flash, que je repoussais comme je pouvais. Une fois que la brûlure qui me tenait eut desserré son étreinte, je rassemblai mon courage et la regardai dans les yeux. Malgré ce qu'on pourrait croire, j'étais une fille timide, qui avait beaucoup de mal à interagir avec les autres. Je commençais rarement une conversation, et si tel était le cas, c'était avec des amis proches que je connaissais depuis bien plus longtemps que n'importe qui. Aborder quelqu'un que je n'avais jamais vu ou avec qui je n'avais jamais parlé n'était pas franchement une habitude pour moi, loin de là. Et maintenant, plus qu'à n'importe quel autre moment de ma vie. Parce que celui qui me permettait de comprendre les autres avait définitivement disparu.

- On ignore souvent qu'il nous reste toujours quelque chose auquel se raccrocher, murmura-t-elle d'une voix grave. Sur le moment, il est tellement plus simple de lâcher prise et de tomber plutôt que de remonter à la sueur de son front. Visiblement, tu es tombée de haut, toi aussi, je me trompe ?

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant