XXV - Iris

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Je la regardais partir, le cerveau en fusion, me demandant comment tout avait bien pu partir en vrille aussi vite. Une minute auparavant, j'avais ma tête collé contre son épaule, son odeur me parvenait de mille part et de milles et une façon, sa voix réchauffait un peu mon corps endoloris par la fatigue émotionnelle qui s'accumulait. J'avais encore sa veste sur le dos, les poings rendus invisibles par ses manches trop grande, et son parfum semblait rentrer et sortir de mon corps comme qu'un moulin à vent. Elle marchait vite, maintenant. Peut-être qu'elle ressentait mon regard coupable et rempli d'incompréhension, de là où elle fuyait. Nous parlions de tout et de rien, je m'étais rapidement épanchée sur ma vision de mon futur métier, et puis paf ! elle était partie brusquement, mais pas assez pour que je ne tente pas de la retenir. Je voulais qu'elle me parle, qu'elle m'explique ce qui se passait derrière toutes ses contradictions qui semblaient la grignoter petit bout par petit bout. Est-ce qu'elle s'était mise la pression ? Avait-elle eu peur, subitement, de ce que ce dîner pourrait entrainer, entre nous ? Elle arriva à un tournant et disparu sans un regard en arrière. Je crois que je suis restée vraiment, vraiment très longtemps à fixer ce virage, me répétant qu'elle allait ressurgir de derrière ces fourrés. Mais elle ne revenait pas. Et mes mains tremblaient. Qu'est-ce que j'avais déclenché chez elle ? Est-ce que cela avait un rapport avec son frère ? Avec son cousin ? Ou quelque chose qu'elle ne m'avait encore jamais dit, tapis dans son âme comme une bête apeurée qui mord quand on l'approche ? Un brouillard de questions et d'étonnement m'assaillait alors que je tentais de faire le tri. Je voulais comprendre, parce que je détestais qu'elle se mette dans des états pareils. Je détestais voir cette lueur de panique dans ses yeux, j'avais envie de la serrer toujours plus fort pour que son angoisse parte ailleurs, pour qu'elle la laisse tranquille, pour qu'elle ne revienne plus jamais. Cela m'empêchait presque de respirer, de la voir comme ça. Le souvenir de ce cours de SVT n'était pas rendu très loin dans ma mémoire, et je fis rapidement le lien. Mais est-ce que c'était vraiment la même chose ? La situation, elle, ne l'était pas. Pourquoi s'était-elle braquée ainsi ?

Je ne savais pas. Vraiment.

Un coup d'œil à ma montre : il était sept heure moins dix. J'avais largement le temps de continuer à fixer le chemin terreux du parc, finalement. Et ce fut ce que je fis pendant plusieurs autres longues minutes, avant de me souvenir que mon frère devait bientôt prendre son car pour l'école primaire. Il avait insisté hier pour que je l'accompagne ; je l'aurais fait même s'il ne me l'avait pas demandé. J'avais toujours un œil posé sur lui d'habitude, pour m'assurer que tout se passait bien pour lui, mais aujourd'hui ce serait différent. Je devais éviter que ses yeux renferment toute la tristesse du monde, et si cela impliquait de me déguiser en clown, alors je me ferais un nez rouge avec le maquillage de ma mère. Je me remis en route, encore un peu secouée par ce début de matinée très... inhabituel. Je n'avais jamais vu autant de panique dans ses yeux, et cela faisait peur à voir. Comme si elle ressentait tout dix fois plus fort, tellement intensément qu'elle n'arrivait pas à gérer une question aussi simple et innocente. Ma mère, en apprenant que j'allais la rejoindre, m'avait confié de lui demander si ses parents seraient d'accord pour manger chez nous, samedi soir, par exemple.

- Je suis sûre que ses parents sont des gens charmants. Tu lui en toucheras un mot, pas vrai ? Ca nous fera du bien.

J'avais faillis lui rétorquer qu'on ferait mieux de rester en famille pour le moment, pour Enzo, mais l'idée de voir Tia le jour ET la soirée était un solide argument pour que je me taise. Et peut-être qu'au détour d'une conversation « entre adultes », ma mère pourrait se confier à quelqu'un d'autre qu'un psy qui l'exacerbait. Je savais combien il avait été difficile pour elle de quitter notre lotissement, nos voisins, ses parties de cartes avec le doyen de la rue Claire-Fontaine et ses longues soirées à refaire le monde, aux piques-niques du quartier, pendant que mon frère et moi jouions au palet avec les hommes. Cela avait été une forme de continuité, un petit fleuve tranquille et sans embusques, pas forcément très palpitant ou riche en nouvelles découvertes, mais les déjeunés chez M. DeBussy et tous ses plats italiens avaient amplement contribué à notre dose d'exotisme.

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant