XV - Tia

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Les dernières notes résonnaient encore dans la petite pièce sombre et démeublée. Je ne bougeais plus, complètement subjuguée par ce que je venais d'entendre. Mes mains tremblaient au-dessus du piano. Je levai les yeux vers elle ; elle était tout aussi stupéfaite que moi. On ne se disait rien, et je pensais en moi-même qu'on ne pouvait pas s'arrêter là. Je lui fis un petit signe de la tête avant d'entamer un nouvel air, qu'elle reconnut très rapidement. Eyes closed de Halsey n'était pourtant pas la musique la plus célèbre de mon répertoire, mais elle s'élança sans la moindre difficulté. Elle avait un don incroyable : le talent de transformer un mot en une émotion. Enzo était rentré sans un bruit dans la pièce et s'était assis au fond, émerveillé. Il fut rapidement rejoint par sa mère, qui, la bouche grande ouverte avec un chiffon dans la main, ne semblait pas en revenir. Lorsque la magie redescendit avec les derniers accords, sa fille serrait son bras gauche avec insistance, gênée. Je ne savais même pas quoi dire ensuite. On resta tous les quatre muets, le cœur battant, avant qu'elle ne brise le silence.

- Tu joues vraiment mieux que ce que j'aurais pu imaginer, me félicita-t-elle, les larmes aux yeux.

- Et toi ! renchéris-je avec stupeur. Beyonce peut aller se rhabiller.

Sa mère étouffa un rire avant de venir prendre sa fille dans ses bras. Son petit frère vint comme il le put se rajouter à l'embrassade familiale, et Iris éclata de rire. J'étais restée en retrait pour les laisser à ce moment, avant que sa mère ne vienne m'embrasser à mon tour, en murmurant ces quelques mots :

- Cela faisait huit mois qu'elle n'avait pas chanté. Merci du fond du cœur.

Je ne me sentais pas légitime de ces remerciements ; je n'y étais pour rien. Je n'avais fait que l'accompagner. Mais visiblement, c'était déjà beaucoup aux yeux de ceux qui nous avait écouté.

- Vous êtes trop forte toutes les deux !!! s'écria Enzo en se jetant sur moi. Dis, tu m'apprendras à jouer comme toi ?

- Si tu veux, répondis-je en m'esclaffant.

Je croisai le regard d'Iris. Elle me souriait comme si je venais de réaliser l'exploit de l'année. Elle ne s'en rendait pas compte, mais ce qu'elle venait de faire m'avait bouleversé. C'était ahurissant, sa voix dégageait une chaleur, une fébrilité doublée d'une force incroyable. J'en restais sans mot, à la regarder encore et encore, pour enfin réaliser que ce n'était pas un rêve. J'avais joué du piano. J'avais entendu chanter la fille aux yeux d'émeraudes, et je ne n'arrivais plus à faire le point. Je caressais du bout de l'index mon fidèle bracelet en cuir, soufflant quelques remerciements. Un poids dont je ne mesurais pas l'existence s'était envolé avec la voix d'Iris. Sa mère repartit avec Enzo, sentant que l'on avait besoin de se parler seule à seule.

- Je n'arrive pas à croire que tu ais pu arrêter de jouer, dit-elle finalement en écarquillant les yeux. C'était magnifique !!!

- Dit la fille à la voix mélodieuse qui avait arrêter de chanter, répliquai-je avec un ton laconique feint.

J'ouvris mes bras en grand et elle vint se réfugier contre ma poitrine. Elle pleurait (à cause de moi, pour ne pas changer), mais son immense sourire restait visser sur son visage. J'étais moi-même aux anges. Je planais et je ne voulais en aucun cas redescendre. Je passais doucement une main dans ses cheveux lorsqu'elle se détacha de mon étreinte avec un sourire fissuré.

- Tu as une voix d'ange, murmurai-je avec émotion.

Cela n'avait jamais été aussi sincère. Je me répétais, mais cette expression sonnait tellement juste.

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant