XXVIII - Tia

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J'avais un plan bien prédéfini dans ma tête, et il ne manquait plus qu'à le mettre à exécution. Ma mère y avait joué un petit rôle, acceptant après une courte discussion avec mon père d'aller un jour dîner chez Iris. La première étape de ma liste était cochée.

- Je l'aime bien, cette petite, m'avait alors confié mon père. Elle est dans ta classe, c'est bien ça ?

Je lui avait confirmé que c'était une camarade de classe, et qu'elle habitait à moins de quatre kilomètres de chez nous, au nord de la ville, à l'opposé de mon royaume - situé dans la zone sud.

- Et comment ça se passe, au lycée ? m'avait-il demandé maladroitement.

Il essayait de rattraper toutes ces fois où il s'était replié dans son bureau sans jamais me demander comment s'était passée ma journée. Ce simple échange me donnait confiance. On ne reparlait pas encore de mon frère, ou seulement dans un silence religieux, mais c'était déjà ça. J'avais compris que ma mère n'avait jamais cherché à l'évincer de la famille, simplement à encaisser le coup. La même explication s'appliquait pour le silence de mon père et mes sauts d'humeur. Chacun s'adaptait à grand fracas, cela n'aurait pas pu être évité.

- Bien. J'ai reçu quelques résultats aujourd'hui : j'ai eu dix-huit à ma compréhension écrite en anglais et dix-neuf virgule vingt-cinq en maths, sur les fonctions polynômes et les statistiques.

Il s'était exclamé que je ne cesserais de le surprendre, lui qui prenait un malin plaisir à me rappeler qu'il avait été major de sa promo en prépa scientifique, et m'avait chaudement félicité d'une petite tape sur l'épaule.

- Ne rentres pas trop tard ce soir. Il me semble que tu as un devoir de SVT, jeudi. Il serait peut-être bon de le réviser encore un peu. Si tu as besoin d'aide, fais moi signe.

Je lui avait fait remarqué que j'étais bien meilleure en biologie que lui, ce qui l'avait fait redoubler de rire tandis qu'il soulignait mon aplomb. Je m'étais contentée d'envoyer un petit clin d'œil à ma mère, de chausser mes tennis et d'attraper mon perfecto en cuir et mon vélo.

Je ne pouvais pas partir tout de suite vers la rue nationale. Je planquai ma monture dans les fourrés les plus proches du petit bois, et m'accroupis derrière une haie en bordure de ce que j'appelais « la plaine » (qui était plus une étendue d'herbe grillée qu'une véritable plaine verdoyante), dans la « zone de sécurité » la plus proche de la rue. Mes parents avaient prévus de faire quelques courses et de rendre visite à de vieux amis de passage dans la région. Ils recommençaient à sortir, et c'était au bénéfice de tout le monde. Et de mon petit plan.

Je n'eus pas à attendre très longtemps. J'entendis la porte du garage se relever doucement au prix de nombreux grincements, puis le moteur du break de mon père vrombir dans toute l'impasse. La voiture et ses occupants prirent la direction des grands boulevards sans faire état de leur fille, qui les observait en filature, juste sous leur nez. Une fois m'être assurée qu'ils n'allaient pas revenir sur leurs pas, je laissai ma clé sous un plant de primevères en dessous la fenêtre de la cuisine, et tapai un message simple à Sacha. C'était elle qui allait s'assurer de la deuxième partie du plan, et je me chargerais en parallèle de la troisième. Je faisais confiance à mon général, mais l'engouement qu'elle portait à cette mission m'effrayait quelque peu. La deuxième partie était capitale, et je ne pourrais pas superviser cette phase depuis le piano d'Iris. Cela m'angoissait, mais je forçai mon inquiétude à s'apaiser alors que je me remémorais les mots de ma meilleure amie :

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant