XI - Tia

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Les basses profondes résultent de la musique assourdissante que vient de lancer Sacha. Des ombres bougent, s'enlacent, s'embrassent, sautent en renversant leurs verres d'alcool. Je vois le film au ralenti, au milieu de tous ces lycéens, pour la plupart majeurs. Mon cousin vient me voir, me tend un verre de punch ; je refuse. Mon frère n'est pas loin, il garde un œil sur moi et surveille, pour que je ne me fasse pas entraîner trop loin. Je me sens infiniment petite parmi les amis de mon cousin, Mathias, qui fête la fin de sa terminale et des examens. Il nous a invité avec ma meilleure amie, nous : le duo + l'infernale. Ma mère nous fait confiance : pas d'alcool et pas de drogue.

Je n'ai jamais vu autant de bouteilles de vodka de toute ma vie. C'est un cimetière vraiment impressionnant qui se forme dans la cuisine au fur et à mesure que la soirée avance.

Un shoot en remplace très vite un autre, les verres se vident à une vitesse effrayante. Mon frère fait attention à ce que je ne prenne rien d'alcoolisé, mais je crois qu'il n'y a pas que du soda dans ce verre que me tend un ami de notre cousin. Je le rassure en lui faisait un bisou sur la joue droite, avant de le faire danser avec moi.

La musique, du rap trash, résonne dans mes tympans ivres de nouvelles sensations. Je me laisse porter par ces jeunes bruyants et désinhibés.

Les jeux d'alcool s'enchaînent, ces fameux jeux où le vrai gagnant est celui qui perd le plus, se délectant des mélanges douteux préparés par l'hôte.

J'encourage, je cris, je hurle, j'applaudis : Sacha me regarde, hilare.

Les lumières découpent mon champ de vision avec force, sans concessions.

Je flotte au-dessus de la piste, je ris aux éclats, mon jumeau me sourit, et une idée me traverse l'esprit.

La pire que je n'ai jamais eu.

On se retrouve tous les quatre, Sacha, Mathias, lui et moi dans une voiture neuve. Les sièges puent le cuir neuf, la carrosserie scintille sous la lumière du lampadaire. Mon cousin nous adresse un sourire bancale : cela fait longtemps qu'il n'est plus sobre, mais il réussit malgré tout à nous conduire jusqu'à la nationale. Il cherche à distancer la voiture bleu-verdâtre qui nous suit : celle d'un de ses amis. L'autoradio est à son volume maximum, j'ai l'impression que je suis ivre alors que je crois n'avoir rien bu. Il se peut que je me sois laisser offrir quelques verres, mais mes souvenirs sont difformes. Je n'arrive pas à faire le compte alors que la route danse devant nous.

- Plus vite, t'as rien dans le ventre, Mathias ! m'entendé-je crier.

90 km/h, 100 puis 120. Depuis le siège arrière, je m'entends lui crier d'accélérer. Une voiture nous dépasse en nous frôlant. Bleue-verdâtre. Ils se rabattent devant nous, trop vite, trop tôt : trop tard. La course-poursuite vient de leur faire perdre le contrôle.

Le jeu n'en ai plus un. L'effroi remplace la joie de toute-puissance. Les cris remplacent les rires. Les êtres qui se croient immortels prennent enfin conscience qu'ils n'en sont rien.

Les pneus crissent sur l'asphalte. Les freins peinent à tenir la distance. Un coup de volant à droite nous propulse dans le fossé. Les branches griffent la carrosserie. Le pare-brise se constellent d'éclats de verre. La musique de l'autoradio déraille. Les yeux horrifiés fixent la mort qui se rapproche.

Les roues dérapent, les cris ne se distinguent même plus : le chaos se fond dans le paysage. Je suis ballotée dans tous les sens, ma gorge me brûle. Ma tête heurte la tôle de la voiture qui s'arrête enfin.

Sacha me regarde en s'assurant que je vais bien. Un filet de sang s'écoule de son bras. Elle tremble. Je porte mes mains à mon crâne. Elles sont rouges, tremblotantes, poisseuses.

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant