XVII - Iris

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- Entres, je t'en prie.

J'avais le cœur lourd, ce midi-là. Dr St Cast m'avait envoyé un message pour avancer le rendez-vous, me privant d'une heure d'étude. Il prétextait un décalage dans son emploi du temps, du à une urgence familiale (pas trop grave, comme il disait dans son texto). Je ne m'étais même pas réjouit de récupérer ma soirée tellement ma tête bourdonnait. Je n'avais presque pas parlé à ma mère durant le trajet entre le lycée et le cabinet, me contentant de hocher vaguement la tête. Elle avait bien tenté de me tirer les vers du nez, mais rien n'y avait fait. De plus, une migraine vigoureuse me prenait la tête en étau depuis le cours d'anglais, migraine qui n'avait fait qu'empirer au fur et à mesure que je m'étais rendu compte que Tia n'était nulle part. Je le savais au fond de moi, mais j'avais espéré toute la matinée la croiser dans les couloirs. Mais au lieu de ça, c'était Alex que j'avais eu l'impression de voir devant chaque salle. Il baissait la tête pendant que je l'ignorais ostensiblement, comme chaque fois depuis ce début d'année. Et il me renvoyait des messages, tous plus « romantique » les uns que les autres, sans aucun doute trouvé sur internet. Mon vibreur ne chômait pas, ce qui au lieu de me faire considérer ses projets d'avenir, me rendait encore plus dingue.

J'avais expliqué à Sacha la scène du cours de SVT, et elle ne m'avait pas paru pas surprise. Elle aussi, elle devait savoir. Elle m'avait conseillé gentiment de ne pas la chercher, de la laisser tranquille un petit moment.

- Combien de temps ? avais-je répliqué. Je ne peux pas la laisser toute seule.

- Le temps qu'il faudra. Envois-lui un message si tu veux, mais ne t'attends pas à des explications.

C'était un peu sec, et elle avait du s'en rendre compte puisqu'elle s'en excusa.

- Tu l'apprécies beaucoup ?

Je connaissais les sous-entendus de ce genre de questions, pourtant il n'y en avait aucun dans sa voix. J'avais hoché la tête, et elle m'avait souris en retour.

- Elle ne doit pas être bien loin. J'imagine qu'elle t'a expliqué, pour son « royaume ». Elle doit être chez elle, à présent. Enfin, dehors : dans son royaume, quoi. Ne vas pas sonner chez elle après les cours ; elle ne rentrera pas chez elle avant la nuit.

J'avais souris faiblement en me remémorant la soirée de notre rencontre, et puis la cloche avait sonnée.

Je percutais seulement maintenant, dans l'entrebâillement de la porte du cabinet, qu'elle devait vraiment se sentir comme une étrangère dans sa propre maison. Elle n'en parlait pas, ou juste quelques allusions à sa mère et à des photos enlevées du mur. Et l'histoire d'un frère, qu'elle aurait tué... Ma migraine revint en force, pendant que je m'asseyais et que j'attendais que mon psy finisse de ranger le dossier du patient précédant. Ma mère était repartie pour faire quelques courses, profitant à fond de ce jour de congé qu'elle avait pu poser. Mon psy me lança les excuses et les politesses d'usage pour avoir avancé la séance, puis rentra dans le vif du sujet. Contre ma cuisse, mon portable émettait de rapides vibrations. Encore.

- Comment te sens-tu ? Décris-moi un peu ta semaine passée, racontes-moi.

J'avais parfois l'impression de parler à une vielle connaissance qui voulait que je fasse un étalage de ma vie, de mes sentiments et de mes émotions. Sauf qu'il cherchait un peu plus profondément chaque fois : normal, c'était son métier, et ma mère ne le payait pas pour faire la causette. Elle avait elle-même vu un psychologue spécialisé dans le deuil pendant trois-quatre mois, mais n'en parlait jamais. Elle avait arrêté, sans vraiment donner de raisons. Il existait une règle tacite, chez nous : ce qui se disait chez le doc restait entre les quatre murs de son cabinet. Je pense qu'elle avait surtout peur qu'Enzo entende par mégarde une de nos conversations, et apprenne du même coup ce que nous lui cachions toutes les deux. Cela me pesait au quotidien, bien que je m'étais fait une raison.

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant