XIV - Tia

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Ses lèvres vinrent se poser tendrement sur les miennes, comme au ralentis. Je me figeai, alors qu'à l'intérieur de moi, je brulais d'envie de lui rendre son baiser.

« Pourquoi ne le fais-tu pas, alors ? »

Ma main vint se poser d'elle-même sur la peau douce de son cou alors que j'entrouvrais mes lèvres. Son parfum m'envoutait et dispersait une douce chaleur sur ma chair. Je fermai les yeux, et un poids dans mon estomac éclata, lâchant un flot de sensation que je ne contrôlais pas. J'avais envie de lâcher prise autrement qu'en tapant sur quelque chose. Je ne voulais pas que cela s'arrête, je soupirais presque tellement je me sentais bien, dans un autre univers. Mon corps était parsemé de frissons et ma cage thoracique brûlait littéralement, libérant un bien-être que je n'avais pas l'habitude de ressentir. Mais l'éternité n'est pas infinie. J'avais encore le goût de son gloss à la cerise lorsque je me reculai à contrecœur, complètement perdue.

- Je ne suis pas sûr que...

- Bien sûr, je comprends...

- Enfin, je veux dire que...

- Non, non, ne dis rien.

Elle stoppa nos tentatives maladroites d'excuses et d'explications.

J'avais mal pour elle.

J'avais mal tout court. Un poids avait remplacé la légèreté qui avait envahi mon estomac.

Je ne voulais pas qu'elle croit que je la repoussais, parce qu'elle ne me plaisait pas ou parce que je n'étais pas attachée à elle.

Est-ce qu'elle me plaisait ? Est-ce que cette fille... m'attirait ?

Je n'en étais même pas sûre. Je ne pouvais être sûre de rien. Pourtant ces sensations... Elles ne m'étaient pas inconnues, et cela me donnait la rage. Elle ne devait pas se faire des idées.

Je ne voulais pas qu'elle se sente aussi mal que moi à présent. J'avais encore l'esprit embrumé par ce cocktail d'émotions, et j'aurais bien aimé tout faire pour prolonger un peu ce délice. Mais je ne pouvais pas. Une peur tenace me nouait le ventre. Celle de l'aimer plus pendant que je chérirais moins son souvenir. Non, je ne le supporterais pas.

- Je ne suis pas sûr de pouvoir me mettre avec quelqu'un... Je ne pense pas que ce soit une bonne idée...

Elle baissa la tête. Elle ne voulait pas le montrer, mais ses yeux trahissaient sa tristesse. Mine de rien, je sentais qu'elle avait presque honte de ce qu'elle avait fait. Je posai un doigt sous son menton pour pouvoir la regarder droit dans les yeux.

- Je suis désolée, vraiment. J'ai encore pas mal de chose à régler avant de pouvoir me lancer pleinement avec quelqu'un. Je ne veux pas te faire de peine.

Elle me sourit, un peu exagérément, avant de se lever. Elle ne pleurait pas, elle ne semblait pas se retenir, et cela me soulageait.

- Ne t'en fais pas ; je crois que pour nous toi comme pour moi, c'est encore trop tôt.

Elle me tendit la main pour qu'on se redirige vers sa mère, qui lui avait annoncé qu'on allait bientôt partir. A son regard contrit, je compris qu'elle avait assisté à la scène de part en part.

- A moi de parler, maintenant, pas vrai ? lança-t-elle avec résolution. Mais avant cela, j'ai besoin d'un petit service...

Elle me regarda d'un air malicieux, et je recouvrai mon sourire. Elle n'avait pas l'air de m'en vouloir, ce qui était pour le mieux. Une partie de mon cerveau me félicitait pour avoir interrompu ce qui aurait pu nous conduire dans une impasse (ou plutôt dans un mur en béton armé), et une autre m'insultait pour avoir brisé le charme de ce moment. Je n'avais plus Alycia en tête depuis plusieurs mois, j'étais guérie : mais ce n'était pas à cela que je pensais. Pendant que je l'embrassais, mon frère avait disparu quelques petites secondes de mon esprit, et je n'étais pas prête à cela. Ma mère et mon père avait toujours un comportement étrange, et j'avais finis par comprendre pourquoi en écoutant aux portes : Mathias voulait nous revoir. Mon cousin. Celui qui conduisait. Celui que mes parents clamaient coupable, alors qu'il n'avait pas été tout seul dans la voiture. Il n'avait même pas été seul sur la route : il y avait eu la voiture de ses potes. Mais mes parents voulaient un coupable, point. Ils se disputaient parce que ma mère s'en foutait et que mon père ne voulait pas qu'il s'approche de notre maison. Moi, je cherchais juste le pardon de mon frère, qui planait au-dessus de moi sans que je puisse savoir ce qu'il en pensait. Sacha me répétait qu'il ne m'en voulait pas, et qu'il n'aurait jamais voulu que je me fasse autant de mal. Mais quand même.

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant