XXI - Iris

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Il était dix-sept heures trente lorsque je tournai sans ménagement la poignée de l'entrée. Mon père était mort. Mon frère était au handball. Ma mère travaillait et ne reviendrait pas avant dix-neuf heures, comme le stipulait son fidèle post-it. J'étais seule dans une maison rustique, amochée, vieille mais réconfortante. Je respirai un grand coup avant de monter à l'étage, m'étendant sur mon lit sous les grincements des ressorts du matelas. Mon cœur n'avait cessé de battre à son rythme fou, et la marche que j'avais effectué pour revenir jusqu'à chez moi n'avais rien arrangé. Si courir me permettait de me détendre, cette fois-ci ce ne fut pas efficace. Je resterais sur ce lit jusqu'à ce qu'ils reviennent, pensai-je en fixant les photos de vacances épinglées aux murs.

Cette chambre était minuscule. Mes murs étaient pleins de trous de l'époque où je préférais les punaises à la Patafix. Il n'y avait pas grand-chose de personnel pour recouvrir la peinture blanche, si ce n'était quelques posters animaliers, ou des affiches capturant l'immensité des grands espaces du monde. J'avais arraché, coupé, déchiré, brûlé et jeté toutes les clichés de moi et mes amis, qui avaient trôné presque comme des trophées au-dessus de mon bureau. Nous paressions arrogants, ils étaient parfois agressifs et rageurs, j'étais celle qui temporisait les tensions et à qui on confiait les secrets. Nous avions été un tout, indestructible. Du moins je l'avais cru.

Je déverrouillai mon vieux téléphone à touches, un BlackBerry lardé de la moindre trace de technologie actuelle. Son seul avantage était sa batterie longue durée ; ses désavantages ne pouvaient pas se compter sur les doigts de mes deux mains. Je soupirai ; je n'avais aucun nouveau message. Je me rappelais du jour où ma mère me l'avait offert, alors que l'entreprise de mon père battait déjà de l'aile. Au moment même où je l'avais allumé pour la première fois, je m'étais jurée qu'une fois que je recevrais ma première fiche de paye, je m'en achèterais un flambant neuf. J'avais quatorze ans. Puis j'avais compris que pour cela, il fallait déjà réussir ses études (et savoir quelles études on voulait faire), et trouver du boulot, et puis les promesses ne peuvent pas être tenues. Mais à cette époque-là, je n'entendais pas mon père tous les soirs promettre qu'il changerait demain, comme si le retour de l'aube le laverait de tous ses péchés et lui permettrait de voir l'avenir sous un autre angle.

J'avais d'abord demandé l'avis de Tia, tiraillée entre l'envie d'en finir et la peur de brusquer. Nous venions tout juste de nous séparer, mais son soutien ou sa désapprobation m'étaient précieux.

Tia :

« Cela fait plusieurs fois que tu lui en parle, vrai ? Donc maintenant, il faut passer la deuxième. Laisses moi te faire une allégorie de la situation : vous êtes à un stop, vous croyez que des voitures vont passer, mais il n'y a personne. Il faut accélérer un bon coup, puis doser l'embrayage, passer la deuxième, peut-être subir quelques secousses, et trouver son rythme de croisière. Là, c'est pareil. Il est temps d'écraser la pédale d'accélérateur. »

Moi :

« Laisses moi deviner, tu es en conduite accompagnée ? »

Tia :

« Dingue, comment tu as deviné ? Blague à part, vas-y franchement, et ensuite vous verrez si ça passe ou pas. De toute façon, il faudra bien le faire un jour ou l'autre. »

Je ris un peu, les lèvres pincées.

Moi :

« La technique du « Fonces, on réfléchira plus tard » n'est pas forcément la meilleure idée du monde. Et si on va dans le mur ? Tout ça parce que j'en peux plus ? »

Sa réponse tardait. Elle devait écrire un pavé. Je scrutais le petit écran avec une certaine anxiété.

Tia :

La Mélodie du HasardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant