J'avais fini par fêter mes 17 ans. Seul, allongé au bord de notre ruisseau. Celui qu'il avait laissé derrière lui, des années auparavant.Rien n'avait changé.
Les prairies avaient gardé leurs couleurs éclatantes. Le vent faisait toujours onduler les hautes herbes et emportait dans ses bourrasques les mêmes nuées de pétales.
Au loin, on voyait toujours le village, petit hameau engloutit par la verdure du vallon. Et à l'opposé, la gare, même point gris minuscule.
Depuis son départ, tout était resté figé, comme si la terre de notre enfance avait voulu piéger dans ses champs le bonheur trop court que nous avions vécu. Mais malgré les efforts de mère nature pour conserver le cocon de joie dans lequel j'avais toujours vécu, je ne percevais plus notre monde de la même façon.
Le ruisseau me semblait dénué de sens sans son rire, les étendues émeraude ridicules, si nous ne pouvions plus y fuir en courant, trébuchant dans les herbes qui à l'époque, faisaient notre taille.
Tout me ramenait à lui, et pourtant il n'était plus là.
Et j'avais ce gout amer dans la bouche. Celui des regrets, des remords. Cette boule coincée dans la gorge. Ma naïveté s'était envolée avec lui, et maintenant, j'étais là.
Quasiment le même Jeno qu'avant. Mais une paire de rêves en moins.
Presque identique, mais désillusionné.
Quand il était partit, j'avais quitté notre vieille école. J'avais commencé à étudier à la maison, assis à la table de la cuisine, les yeux humides, perdus dans l'immensité du vallon.
Je m'étais dédié corps et âme pour faire marcher la petite entreprise de maman et grand-mère. Je les avais aidé tant que je pouvais. Puis un jour, peu de temps après Donghyuk, grand-mère était partie.
Jeno avait alors perdu ce fameux sourire en croissant de lune. Ce sourire des yeux. Ce sourire qu'elle aimait tant, et dont mon ami s'était toujours moqué. Parce qu'il s'était toujours moqué de tout. De rien. Mais surtout de lui.
Je m'étais retrouvé plus seul encore, et mon aide ne suffisait plus à ma mère. J'avais alors trouvé un boulot à la poste du coin. Pas grand chose, mais ça occupait mes longues journées d'ennui, qui se résumaient à regarder le vide, penché sur mes cahiers.
Je triais le courrier qui arrivait, et le livrais à vélo. Je parcourais tout notre vallon. Allant de village en village, tous plus perdus les uns que les autres.
Avec ça, on gagnait un peu d'argent. Pas de quoi s'amuser, mais de quoi subvenir à nos besoins. De quoi payer les leçons que le lycée m'envoyait à la maison. C'était toujours moins cher que de partir en ville.
De toute façon, je détestais la ville. Elle m'avait ravi mon meilleur ami. Et rien n'aurait pu égaler la beauté de mon petit village, où chacun se connaissait, où chacun s'entraidait comme il pouvait.
C'était ça ma vie maintenant. 17 ans, postier, et étudiant solitaire, dont la vie était absorbé dans des bouquins théoriques, que j'allais étudier à la gare.
Elle, n'était jamais partie. Elle ne m'avait jamais laissé seul. Elle ne m'avait jamais déçu.
Et comme avant, le même train, chaque jour, s'arrêtait à quai.
Chaque jour, allongé sur mon banc, je levais le nez de mes manuels, pour observer les wagons étincelants. Et chaque jour, depuis une éternité, rien ne se produisait.
La machine soufflait, crachotait, puis repartait sans mot dire.
Chaque jour, le même jour.
Et le même Jeno qui, petit à petit se laissait, lui et sa vie, happer par la monotonie du vallon.
Mais, un jour, un de ces nombreux jours qui aurait du être une répétition morne du précédent, les portes du dernier wagon s'étaient ouvertes.
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「 Il regardait passer les trains - Nomin 」
FanfictionT e r m i n é. « Il s'asseyait là, chaque jour, depuis une éternité. Chaque jour, le même jour, les mêmes heures qui défilent, les mêmes sons, les mêmes images. Assis là, il regardait passer les trains. Personne ne descendait jamais sur le quai. Pe...