23. À la fièvre qui endort

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La douleur. Voilà ce que je ressentais. Elle m'oppressait, et je me sentais faible. Ridicule. Misérable.

Le froid m'étreignait, et je ne sentais plus mes pieds. Il mordait les quelques millimètres de peau que je ne parvenais pas à lui dissimuler. Et ne parvenait même plus à faire frissonner mon corps tant il était paralysé. Comme pris dans la glace.

Blottis sur mon banc, ayant enfilé toutes les couches de vêtements que je pouvais, j'essayais de trouver le sommeil, mais la douleur était bien trop forte.

Je ne savais pas quoi faire.

J'aurais pu aller me réfugier dans le local de la poste. Mais mes clefs étaient restées sur mon bureau, et si je revenais chez-moi... elle serait capable de tout.

J'avais faim. Plus que ça, je mourrais de faim. Ça allait faire plus d'un jour que je n'avais pas touché à une quelconque source de nourriture. Parce qu'hier soir, il était bien trop épuisé pour avaler quoi que ce soit. Et que ce matin, on m'avait jeté dehors.

Et maintenant, j'étais seul, sur le quai de cette foutue gare, au beau milieu de la nuit.

Je voulais revenir chez moi. Passer par la fenêtre de ma chambre, histoire de récupérer les clefs que j'avais oublié. Ou une couverture. Quelque chose qui m'aiderait à aller mieux.

Mais elle était fermée depuis l'intérieur et plus jamais je ne pourrais passer la porte d'entrée.

C'est ce qui c'était passé avec mon père quand j'étais gosse.

Un jour, elle avait découvert qu'il la trompait. Avec un homme qu'il avait rencontré en ville. Et elle l'avait jeté dehors, brisée.

Elle l'aimait. Dieu qu'elle l'aimait. Mais, il ne l'aimait plus. Il l'aimait lui.

Alors il avait fait sa valise.

Je me souviens l'avoir regardé faire, sans comprendre, protégé par les bras de ma mère qui ne voulait plus que j'approche ce traitre.

Blessée, ne se sentant vivante que parce qu'elle ressentait une souffrance indescriptible, elle m'avait élevée seule.

Et elle m'avait vu grandir. Lui ressemblant de plus en plus. Lui ressemblant bien trop. Lui ressemblant tellement qu'elle ne l'avait pas supporté.

Et détruite, elle avait fini par repousser son fils, celui pour qui elle avait donné sa vie, parce qu'il était comme lui.

Physiquement. Mentalement. Tout lui rappelait sa présence et combien elle était seule. Seule et anéantie.

Et j'avais appris à me construire tout aussi seul. Entendant ses raisons. Tentant de les comprendre.

Mais il avait été la goutte qui faisait déborder le vase.

Je n'osais imaginer ce qu'elle avait pu ressentir en voyant son fils, celui qu'elle fuyait et aimait car il était son père en tout, étreindre un garçon.

Comme il avait du le faire souvent, lui aussi.

Finalement, je m'étais levé, manquant de tomber tant le froid m'avait rendu amorphe. Incapable de décrire le moindre mouvement.

Et je m'étais trainé dans les champs, mon sac raclant le sol, mes mains peinant à le soutenir, ma peau se fissurant douloureusement au niveau des jointures, à cause de cette nuit glaciale qui m'étouffait.

「 Il regardait passer les trains - Nomin 」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant