41. À la vie qui s'éteint

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Je m'étais battu. Pour le garder au près de moi. Je m'étais battu. Et je n'avais plus de force. J'étais vide, épuisé, et j'avais mal.

Mal, car j'avais hurlé jusqu'au sang, suppliant la terre entière de me laisser avec lui. Seul. Dans cette chambre.

Mal, car j'avais frappé tout ce qui m'était passé sous la main, manquant de justesse un médecin qui m'avait interdit de le voir. Mais touchant dans le mille une vitre, qui m'avait coupé le poing.

Mal, car j'avais versé tant de larmes que mes yeux me brûlaient, secs, arides, gonflés et parcourus de veines éclatées. Folles. Baignant mon visage détruit.

Mal, car mon coeur se brisait, un peu plus chaque fois. Chaque fois que j'entendais le bip sonore de l'électrocardiogramme résonner dans la pièce vide. Résonner entre mes côtes, m'étouffant lentement, me laissant là, suffoquant, assis sur une chaise bancale, le visage caché dans mes bras.

Il dormait. Et j'entendais son souffle siffler trop bruyamment, formant une buée douloureuse sur la paroi de l'aide respiratoire qu'on avait posé contre sa peau diaphane.

Son torse se soulevait doucement, dans un mouvement régulier presque invisible, suivant le rythme de la machine dont les murmures occupaient tout l'espace.

Il faisait nuit, et personne ne bougeait. J'étais silencieux, et ses doigts gelés s'étaient glissés entre les miens dans son sommeil.

J'avais veillé sur lui, des heures durant. Peut-être une dizaine. Et je souffrais. Ébranlé par mes sentiments qui se brisaient au fond de moi. Ébranlé par la fatigue contre laquelle je luttais en vain. Ébranlé par cette berceuse morbide, répétitive, qui m'indiquait qu'il vivait encore.

Et les fleurs que je lui avais offert ce matin flétrissaient dans la nuit profonde, me rappelant à quel point la vie était éphémère. Et je m'en voulais. Je m'en voulais de ne pas avoir pu vaincre la date à sa place.

Un pétale rouge, hémoglobine, était tombé sur le carrelage clinique, et c'était la dernière chose que j'avais vu avant de m'endormir, las, mes lèvres contre sa main de glace.

*

Un mouvement contre ma peau m'avait tiré d'un sommeil de plomb qui m'assommait, anesthésiant ma douleur pour la réveiller un peu plus forte. Éclatant en pleine nuit alors que nos yeux se rencontraient pour la première fois depuis une éternité.

Mi-clos, dans la pénombre, seulement éclairés par un rayon de lune et la diode du boitier qui psalmodiait dans son dos, ils brillaient. Ils brillaient d'une souffrance que je pouvais toucher. Ressentir. Et qui m'étreignait violemment, m'empêchant de dire quoi que ce soit. Absorbé par cette lueur douloureuse.

Ses doigts s'étaient resserrés sur mon bras, et il avait toussé dans son masque translucide alors qu'il se redressait péniblement.

J'aurais voulu lui dire de ne pas bouger. De prendre soin de lui. De ne pas forcer sur son coeur qui nous avait lâché, perché sur mes épaules. De ne pas pousser ses poumons à bout. Mais il n'aurait pas écouté. Et je n'arrivais pas à parler. Aucun son ne sortait. Et le noeud qui m'assassinait se resserrait encore et encore dans ma gorge, formant une boule que je ne pouvais ravaler.

Jen.. avait-il murmuré, sa voix se perdant dans son masque à oxygène, dont le tube transparent s'était couvert de sa respiration.

Muet, j'avais saisit sa main, la caressant de mon pouce tendrement, mes yeux me piquant horriblement, alors que mon menton tremblait.

「 Il regardait passer les trains - Nomin 」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant