Chapitre 22

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Point de vue de Keelie

Après la lecture de cette lettre, une seule pensée me vient à l'esprit : il faut que je raconte tout ça à Lysandre. Je dois à tout prix trouver un moyen de venir à son rendez-vous. J'ai trois jours pour trouver ce moyen. Cela va au moins me donner une occupation dans ces journées mornes mais pas moins épuisantes. À part les entraînements, mes journées se résument à des balades dans le manoir dans l'espoir de trouver quelque chose d'intéressant à faire.

Je sors de ma chambre, en quête d'Alison. Avant toute chose, j'aimerais lui parler des menaces, car je n'ai toujours pas eu l'occasion de lui en parler.

Pour une fois et à mon grand soulagement, je la trouve assez facilement dans le petit salon, en compagnie de son fils. Celui-ci a le visage fermé, tandis que sa mère arbore une expression sévère. J'aurais bien voulu savoir de quoi retournait leur discussion. Tous deux lèvent la tête lorsqu'ils m'entendent arriver, et interrompent leur débat. Un sourire malicieux s'étire sur le visage d'Alison en me voyant.

-Tiens, quand on parle du loup...

Je me crispe aussitôt. Ils parlaient de moi ?

Je remarque que Chaz est tendu lui aussi, tandis que sa mère arbore un sourire flamboyant. Il se lève et commence à se diriger vers la sortie.

-Je vais prendre l'air, si vous voulez bien.

-Notre discussion n'est pas terminée, Chaz. Nous la reprendrons tôt ou tard ! Lui lance sa mère juste avant qu'il ne ferme la porte derrière lui.

Je reste immobile sur le pas de la porte. J'attends l'approbation d'Alison pour engager la discussion. Elle me la donne immédiatement et je m'assois près d'elle.

-Désolée de vous avoir dérangés, je prononce d'un voix hésitante.

Elle balaie ma remarque d'un léger geste de la main et me sourit comme sourirait une mère à sa fille, ce qui me rassure.

-Ne t'inquiète pas, Chaz est une vraie tête de mule et la discussion aurait tourné au désastre si tu n'étais pas intervenue. Dis-moi plutôt ce qui te turlupine.

-J'ai trouvé ceci dans ma chambre, hier, juste après mon arrivée.

J'accompagne le geste à la parole et lui tend l'une des lettres de menace. Ses sourcils se froncent et je continue sur ma lancée.

-J'en ai reçu plusieurs autres que j'ai laissées dans ma chambre, mais elles se terminent toutes par le même chose : J. Est-ce que tu sais ce que ça signifie ?

Un long silence accueille ma question. Je pense qu'Alison a dû lire une bonne dizaine de fois la lettre que je lui ai donnée, avant de me répondre :

-Je pense que j'ai une petite idée sur l'identité de ton maître chanteur, mais je préfère ne rien te dire pour l'instant. Je ne veux pas t'inquiéter.

Ironie, cette phrase m'inquiète, au contraire. Cela signifie donc que le danger est véritable.

-En tout cas, ne te soucie de rien. Occupe-toi de ton entraînement, je vais en parler à Tyler. On gère la situation.

Je la remercie et elle me congédie. Étrangement, ses propos ne m'ont pas rassurée. C'est vrai : je ne les connais que depuis deux petits jours, pourquoi leur faire confiance ? Parce qu'ils connaissent mon grand-père ? Et si tout cela n'était qu'un pur mensonge pour mieux me manipuler ?

Prise dans mes pensées, je ne prend pas conscience de la marche d'escalier en face de moi et mon pied se cogne dessus, me faisant tomber dans mon élan, maladroite que je suis.

Par chance -ou malchance selon le point de vue-, Chaz passe à ce moment précis. À ma grande surprise, il ne se moque pas. Il se contente de me tendre la main pour me relever, mais son regard est fuyant.

J'accepte son aide avec plaisir et un silence gênant s'installe entre nous.

-Je vais y aller, me souffle-t-il uniquement.

Prise au dépourvu par si peu d'engouement de sa part, je reste les bras ballants en haut des escaliers, à le regarder sortir du manoir.

-Tu es amoureuse, j'entend derrière moi.

Je me retourne rapidement, choquée et surprise de cette phrase. Ma surprise s'agrandit encore quand je découvre que c'est Lydia qui l'a prononcée. Pourquoi m'a-t-elle dit ça ?

-Mère regarde Père de la même manière que tu viens de regarder Chaz. Étant donné que Maman est amoureuse de Papa, j'en conclus donc que tu es amoureuse de mon grand frère. De plus, les personnes qui s'aiment ont tendance à devenir bizarres et idiots quand ils sont en présence de leur amoureux. Et vous êtes vraiment bizarres et idiots quand vous êtes ensemble, mon frère et toi. J'ai pas raison ?

Cette fille me surprendra toujours. Elle réfléchit énormément et analyse tout ce qu'elle voit, dans son coin, et tire ses propres conclusions à seulement une dizaine d'années. Je dois avouer que je l'admire un peu. Elle est très intelligente et est promise à un grand avenir. Sa famille est aisée et pourra l'épauler sans problème, tandis que je devais mener des pieds et des mains pour me débrouiller dans mon ancienne vie. J'aurais beaucoup aimé être comme elle à son âge. Il faut qu'elle profite de la chance qu'elle a, tout le monde n'est pas aussi privilégié qu'elle.

Son analyse m'amuse. C'est vrai que sa réflexion tient debout, mais elle est fausse, dans mon cas. Je ne suis pas du tout amoureuse de Chaz, nous sommes beaucoup trop différents pour nous attirer. Il est aux antipodes de ce que j'aime chez un homme.

Je secoue la tête pour repousser l'analyse de Lydia, mais elle ne se laisse pas faire.

-Les amoureux ont aussi tendance à nier leur amour pour leur bien-aimé, soit parce qu'ils ne s'en rendent pas compte, soit parce qu'ils ne l'assument pas. Je pense que tu dois être dans les deux cas. Mais ça viendra, ne t'en fais pas.

Elle ponctue sa phrase d'un petit sourire malicieux, avant de se diriger vers les jardins. Tiens, elle ne retourne pas dans sa chambre ?

Je ne comprend pas pourquoi elle dit ça. Comment peut-elle être aussi sûre de ce qu'elle annonce alors qu'elle reste dans sa chambre toute la journée ? Elle me perturbe énormément, cette petite.

Je retourne dans ma chambre non sans me poser nombre de questions, afin de me préparer à l'entraînement de cet après-midi.

La journée se termine paisiblement. Chaz n'était pas présent à l'entraînement, pour mon plus grand bonheur.

À la fin de celui-ci, je cours prendre un bain. C'est devant le miroir de la salle de bain que je me rend compte de mon état physique. J'ai des plaies et des bleus un peu partout sur le corps à cause des entraînements avec Tyler, et les cernes que j'avais déjà avant d'arriver ici se sont encore agrandies. Je ne prend plus soin de mes cheveux, qui sont emmêlés à cause de la tresse que je porte habituellement. Je passe une bonne dizaine de minutes à les démêler et leur procurer un maximum de soins. Au sortir du bain, ils sont comme neufs et leurs pointes blanches ressortent de plus belle. Ces pointes qui signifient ma différence, mon statut de Blanche. Que vais-je donc devenir ?

Blanche [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant