Chapitre 10.2

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*

Un raclement de gorge me sort de mes pensées.

La voix appartient ni plus ni moins, à Monsieur Haraud.

« J'espère pour toi que tu as une excellente raison d'être ici. Sinon, je te jure que ton père va être averti dans la minute. »

Oups... Je crois que j'ai un problème...

*

La peur.

N'est-ce pas un sentiment fascinant ? Une émotion capable de vous dicter la fuite ou le combat, la simple réaction face un danger imminent. L'instinct de survie.

Peu de gens sont capables de la contrôler, et moi, j'en suis absolument incapable. Je me laisse vivre et ballotter par mes sentiments, même ceux, comme la peur qui font vibrer des êtres depuis la création du monde. La peur est un réflexe de survie, sûrement le plus ancien sentiment du monde animal.

On ne peut que s'imposer face à la puissance de la peur, devant la facilité qu'elle prend possession de n'importe quel homme. L'organisme réagit à une toute petite chose, l'adrénaline. Pendant des heures, je l'ai recherchée. J'en ai testé des expériences dangereuses pour ressentir encore une fois ce sentiment de peur.

Je me souviens parfaitement de ce soir-là. Tous les détails sont encore ancrer dans mon cerveau, et peuvent s'afficher avec précision derrière mes paupières. J'étais poussée par les cris des quelques personnes droguées au sol. Mes muscles s'activaient un par un, mes bras me tractaient, pendant que mon cœur qui battait la chamade, entamait le deuxième couplet d'une chanson emballée. Une chanson qui criait avec moi, toute la rage que j'avais besoin pour avancer, pour lever mon corps encore une fois.

Le battement qui résonnait dans mes oreilles me donnait des ailes, d'autres avaient essayé avant moi, mais ils ne devaient pas tenir assez bien l'alcool. Traction après traction, j'y étais arrivé, en haut de ce fichu bâtiment. C'était un défi assez célèbre dans mon lycée : se boire une dizaine de shoots de vodka et grimper sur le toit du gymnase. Personne avant moi n'avait eu le cran ou la bêtise d'aller jusqu'au bout. J'avais frôlé la mort ce soir-là, et j'avais fait tout ça pour un unique but : ressentir de la peur.

Pourtant, à cet instant précis de ma vie, je donnerais beaucoup pour ne pas avoir à en ressentir. Je n'avais jamais eu peur de mes parents avant de savoir qu'ils ne m'avaient jamais désirée et qu'ils ne m'avaient ensuite considérée que comme une expérience à mener à terme. Ils m'avaient délaissée parce qu'ils savaient que mon existence n'allait être intéressante pour eux qu'après ma mort. Mes parents avaient plus souhaité ma mort que ma venue au monde. Je les ai éternellement déçu et j'ai pendant tellement longtemps chercher à leur plaire, chercher à les rendre fiers.

Alors, me voici là, des années plus tard avoir compris que je ne serais jamais à la hauteur de leur espérance, à redouter de les revoir un jour. Je m'imagine déjà très bien le regard las et empli de déception de mon père s'il venait à me voir aujourd'hui. Il a toujours été un père dur et exigeant. Je me souviens pourtant de certains moments heureux de mon enfance. Je me revois d'ailleurs bien, assise sur ses genoux dans la bibliothèque de la maison, il me racontait au combien j'avais changé ma vie et à quel point j'étais importante à ces yeux. Je me demande maintenant, si ce n'était qu'une déclaration intéressée ou si, ce jour-là, il m'aimait vraiment.

Ma mère, quant à elle, est loin d'être une femme effacée. Elle est tout aussi brillante que mon père, et tout aussi froide. Ils formaient ce genre de couple où l'on se demandait s'ils n'étaient qu'un couple par intérêt ou s'ils représentaient, respectivement pour l'autre, le seul être aimé sur cette terre. Je pense pour ma part, qu'ils se complétaient, qu'ils avaient trouvé en l'autre la seule personne capable de comprendre les retords vicieux de leur cerveau. Et moi, je n'avais été qu'un élément embêtant, un résultat impromptu d'une expérience mal contrôlée. Peut-être qu'à un certain moment, mes parents étaient heureux à l'idée de m'avoir. Peut-être même qu'ils avaient été charmés par l'idée de transmettre et d'élever leur progéniture. Mais le naturel revient au galop comme on dit. Une fois pseudo-autonome, je ne les intéressais plus. Ce qui est ironique, c'est que je m'étais dépêchée de grandir pour les satisfaire.

Monsieur Haraud me fixe depuis une bonne dizaine de minute. Il a reçu le message du professeur lui expliquant mon manque d'attention en cours de probabilités et ma médiocre tentative d'expliquer mon comportement. Je vois qu'il n'a pas tout compris à mes intentions. J'essayais de fuir mon ennui. Mes pensées vont trop vite et trop loin quand je m'ennuie.

Le silence règne dans son bureau, je ne dis mot. Ses yeux me scrutent pour essayer de comprendre ou pour simplement faire le rapprochement avec les visages de mes parents, je ne sais pas. Il me repose la question de ma venue dans son bureau.

« Les probabilités ne sont sûrement pas faîtes pour moi.

-Je sais que ça t'amuse pas de suivre les cours des Normaux, mais c'est comme ça. Tu as besoin de t'occuper, sinon je sens que tu nous donneras du fils à retordre.

-Laissez-moi faire autre chose ! Les cours m'assomment et c'est encore pire. Je vous en prie, laissez-moi aider les chercheurs. Les sciences et la recherche, ça, ça peut me canaliser. »

Cette idée m'excite. D'une part, je pourrais avoir l'impression d'être utile et faire ce pour quoi je suis douée : les sciences. Et d'une autre part, je pourrais glaner des informations sur le dossier Petite Lune. Edouard ne dira rien, et je pourrais alors échafauder un plan pour rapidement m'enfuir de cet endroit maléfique.

Monsieur Haraud semble réfléchir sérieusement à ma proposition.

« Je t'accorde deux demi-journées au laboratoire plutôt qu'en cours. Mais il faut que tu suives quand même des cours. Les probabilités peuvent être utiles dans la vie.

-Vous êtes au courant que j'ai étudié ce chapitre en sixième ?

-J'avais oublié que tu étais la fille de tes parents. »

J'ai donc réussi à avoir un accès au laboratoire sans que la direction ne s'aperçoive de mes combines. Nous sommes jeudi, il me reste que demain pour découvrir ce que j'ai besoin de savoir. Je veux être partie avant lundi.

Je sais que cela va être compliqué.

« Est-ce que je peux commencer demain ?

-Oui, mais à une seule condition. Que tu travailles réellement en cours. Tu pourrais devenir très utile à l'Institut si tu te mettais à travailler pour lui. Et je te garantis que tu recevrais beaucoup à t'investir pour l'Institut.

-Alors je commence dès demain. »

Quand la vie dit non, la mort prend le relaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant