"Il était temps Emma... On t'attendait impatiemment... "
Toute mon enfance, on m'avait répété que j'étais une enfant intelligente. Que plus tard, je pourrais choisir quel destin je voudrais. On m'avait dit que je finirai ingénieur, médecin, avocat, ou même politicienne. Mais personne n'avait jamais envisagé l'étape "overdose". À vrai dire, personne n'envisage jamais cela. Sauf si vraiment vous en êtes à un point critique. Et voilà, que je me retrouve seule, dans un lieu qui m'est totalement inconnu, avec une personne qui me regarde sans que moi je puisse faire de même. Flippant, vous dîtes ? Non, terrifiant. Et pourtant, étrangement, je ne suis pas paniquée. J'aurais peut-être dût à la réflexion.
Il est encore là, je le sens. Il reste dans la pièce, il me regarde. Mais il fait bien attention à ne pas rentrer dans mon champ de vision. Je dis "il", je suis persuadée que c'est un homme. Je dirai dans les environs de 20 ans. Mais je ne sais pas vraiment. Effectivement, je ne sais rien avec certitude. Parce que j'ai appris que les certitudes peuvent être vite balayées alors je ne pars jamais totalement confiante. Comme ça, je ne suis jamais déçue. Sa voix, celle qui a parlé tout à l'heure, était froide, teintée d'ironie et de sarcasme. Comme quand on vous avait promis des miracles, que vous êtes atrocement déçu, que vous vous moquez de la chose qui vous a été présenté. Il a une odeur particulière. Un mélange d'odeur de forêt un jour de printemps, de la senteur qui flotte dans une bibliothèque oubliée du monde, et une légère trace de vanille et de sucre.
Mon corps me refuse toujours, je suis incapable de bouger, c'est frustrant. Je ressens comme une pression, un blocage. Comme si, c'était un élément extérieur qui me refusait l'accès à mon propre corps. Ma gorge me démange toujours, j'ai soif. J'aimerai tellement boire un grand verre de grenadine, comme quand j'étais chez ma grand-mère pour les vacances d'été. Tous les étés, mes parents, soucieux de continuer leurs projets, m'envoyait chez ma grand-mère. C'était une vielle femme, au sourire franc et au grand cœur. Et chaque jour, pour le goûter, elle me préparait un grand verre de grenadine. Elle rajoutait une paille, et un parapluie coloré, pour "imiter les cocktails pour les grands", disait-elle. C'était une âme pure, qui avait su garder sa joie de vivre et son pétillant. Mais comme tout, elle m'avait quittée. Elle s'était envolée, rejoindre son cher mari, l'amour de sa longue vie. J'étais au milieu du collège quand c'est arrivé. Et ça m'avait brisé le cœur, j'étais restée pendant des semaines, enfermée à pleurer. Puis, je m'étais ressaisie. Je m'étais relevé, j'avais continué, je n'avais pas abandonné. Jusqu'au lycée, où je suis tombée tellement bas, que même elle ne m'aurait pas reconnu. Même elle aurait détourné le regard. Je crois que je divague, la drogue a fait des ravages dans mon cerveau, je crois.
Je veux parler, je veux boire, et accessoirement lui poser quelques centaines de questions. Je me concentre, grogne, et arrive enfin à formuler quelques mots, avant que ma voix ne s'éteigne.
"-...soif...boire...s'il...plaît..."
C'était pitoyable. Mais qu'aurais-je pu dire d'autre ? Ma bouche ressemblait à du papier de verre brûlé. Je n'avais prononcé qu'un murmure. Je l'entendis bouger, ouvrir la porte et la refermer. Il était parti, j'étais de nouveau absolument seule. Génial Emma, c'était vraiment efficace. Et merde ! Pardon, je dis des gros mots. Je sais ce n'est pas bien, mais que voulez-vous ? Personne n'est parfait.
Vu que Monsieur JeSaisPasQui est parti, je crois que je vais essayer de faire bouger ce fabuleux corps de droguée. En passant, il me fait toujours mal, disons plus que c'est une vague constante de douleur. On va se concentrer sur un point précis, au lieu de s'éparpiller et de se fatiguer sans n'avoir aucun résultat. Le doigt, c'est bien. C'est pratique, satisfaisant, et plutôt élémentaire, mon cher Watson. Ah, ah, ah, hilarant Emma. Ça nous aide beaucoup en plus. Je me concentre, en essayant d'oublier les signaux de douleurs que m'envoie mon corps. Je ferme les yeux, et je visualise mon doigt en train de bouger. Juste de se soulever, un tout petit mouvement qui me permettrait de croire que ma vie n'est pas complètement sombre bordel. Je sens un imperceptible changement. J'ouvre directement les paupières et fixe mon index. Et je recommence à visualiser, et là, enfin, mon doigt bouge ! Un tout petit peu, il se lève légèrement de quelques millimètres, mais c'est juste génial ! Ouais, vous êtes sûrement en train de vous dire que je dois être folle à lier pour m'extasier sur le fait de lever un doigt. Mais je vous jure, quand la vie te hurle à la gueule, une toute petite chose, même aussi infime qu'un doigt qui bouge de quelques millimètres, c'est de l'espoir.
J'avais lu un livre philosophique sur l'espoir, un jour. L'auteur expliquait que l'espoir était à la fois un des plus grands défauts mortels de l'Homme, et un formidable carburant à tout ce que peut accomplir un homme. C'est vrai quand on y pense, un peu réducteur, mais singulièrement vrai. À cause ou grâce à l'espoir, on ne renonce pas, jamais. Et c'est bien, ce que j'ai l'intention de faire maintenant. Je ne sais pas où je suis. Je ne sais pas qui me retient. Je ne sais pas pourquoi je ne suis pas dans un hôpital. Je ne sais même pas si je suis en vie. Alors je vais garder espoir, comme dans ces films américains pour ado sans problème, avec des citations niaises, du genre « vis ta vie et garde espoir ». Je vais être une ado niaise, qui croit que personne ne lui veut du mal. Et que tout va bien aller, parce que dans ces films-là, il n'y a jamais de mort. Et puis qui pourrait m'en vouloir ?
Je ne suis personne, juste une adolescente droguée, qui n'a pas vraiment d'histoire. Et qui pour l'instant est obnubilé par sa soif. Désolée, je détourne le fil de l'histoire, mais bon Dieu, qu'est-ce que j'ai soif ! Je serais prête à boire l'eau des fleurs, si seulement il y avait des fleurs.
La porte s'ouvre, je bouge la tête vers le bruit du grincement. Sur le moment, je ne fais pas attention au fait, que oui je peux bouger la tête. C'est lui, le garçon de tout à l'heure. Il a un verre d'eau dans la main droite. Il me le tend, je m'empresse de le boire. Ça va mieux, beaucoup mieux même.
« - Maintenant, que vous avez bu, Mademoiselle Emma, la seule et l'unique, vous avez des questions à poser à votre humble serviteur ? »
Il l'a dit sur un ton ironique et moqueur, il se fout de moi. Pourquoi il se fout de moi ? Je crois bien que je ne l'aime pas.
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Quand la vie dit non, la mort prend le relais
PertualanganEmma est une jeune fille de 17 ans qui a abandonné son rôle d'enfant sage et parfaite, pour le monde de la drogue et de l'adrénaline. Même ses parents, deux acharnés du travail, ne voient pas qu'elle n'est plus cette enfant à l'image idyllique. Tes...