Chapitre 3.2

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Non, mais sérieusement ? C'est quoi ça ?

Je n'ai pas vraiment les mots.

Je m'attendais à beaucoup de choses. Ça aurait pu être un hôpital d'enfant, grouillant de petits êtres malades et pourtant joyeux, avec des grands sourires. Ou un camp de détention, je ne sais pas. J'avais même pensé un univers parallèle avec des anges aux grandes ailes banches et des dragons verts d'eau.

Je ne m'attendais pas à ça. C'est à la fois étrange, perturbant, et absolument attrayant.

C'est si normal, tellement prévisible, que ça en devenait imprévisible.

Je suis immobile, dans l'encadrement de la porte. Et devant, s'étend un hall aux murs pastels. Il grouille de jeunes adultes en treillis militaires. Ils se parlent, rient, vivent tout simplement. Ils ont l'air heureux. Pourquoi ils ne le seraient pas ?

Je ne bouge pas, pendant de longues secondes. J'entends un soupir de Lucas. Mes muscles tremblent. Je regarde juste ces gens aux visages heureux. On dirait le hall d'un lycée normal. Sauf, peut-être, les quelques véritables adultes, qui passent avec leurs grandes blouses blanches comme l'infirmière qui doit être juste derrière moi.

J'avance de quelques pas, en lâchant la porte. D'abord, personne ne me remarque. Mais rapidement, ma robe de patient fait tâche parmi ce flot de vert kaki. Un premier regard se fixe sur moi. C'est une jeune femme, d'environ mon âge. Ses yeux sont la première chose que je vois. D'un vert saisissant. Elle a de longs cheveux blonds retenus en queux de cheval, et quelques mèches s'échappent de sa coiffure pour venir encadrer son visage. Je sens l'incompréhension sur son visage. Puis, elle fronce les sourcils et interpelle son ami à qui elle devait parler avant mon entrée. Il me regarde aussi, et petit à petit, la salle se remplie d'un silence pesant. Les adultes en blouses blanches s'arrêtent de marcher pour me dévisager.

Pourquoi est-ce qu'ils me fixent tous avec cette curiosité ? Tout autour de moi, ils m'observent. Je me sens mal, tous ces regards me mettent mal à l'aise. Ils m'étouffent, je manque d'air.

J'arrive plus à respirer, je mets mes mains autour de ma gorge. J'entends Lucas jurer.

"-Merde, on doit faire quelques choses !

-NON Lucas, on ne peut pas la toucher, tu le sais aussi bien que moi. " lui-répond l'infirmière de tout à l'heure.

Pourquoi ils n'ont pas le droit de me toucher ? Pourquoi tout le monde me dévisage ? J'en peux plus de toutes ses questions sans réponses ! Je peux plus respirer.

Je tombe par terre, je me recroqueville sur moi-même, en position fœtale. Je me sens mal, tellement mal.

Pourquoi ça m'arrive à moi ? Pourquoi ils le regardent comme ça ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi personne ne doit me toucher ? Il faut m'aider.

Je suis paralysée, je sens des larmes coulées sur mes joues. C'est trop pour moi. Je ne suis personne ! Pourquoi moi ?!

Je lève mes yeux pour chercher de l'aide. Je tombe sur la jeune fille blonde. Elle me regarde avec stupéfaction et curiosité. Je l'implore de m'aider, en lui lançant un regard de désespoir.

Ses yeux verts s'assombrissent. Elle doute. Elle fait un pas vers moi. Il reste encore un ou deux mètres pour briser l'espace qui c'était instauré entre eux et moi. Lucas s'avance vers elle.

« - Catherine, tu n'as pas le droit. On ne sait pas encore ce qui arrivera !

- Elle a besoin d'aide ! Elle fait une crise de panique, bon sang ! »

Sur ces mots, elle parcourt les quelques mètres qui la séparait de moi.

Elle s'agenouille devant moi, sans me toucher. Elle plonge profondément son regard dans le mien. Je suffoque. Mon corps se met à trembler, je convulse par manque d'air.

J'entends au loin, la jeune fille crier.

« - Lucas !! Je dois la toucher, je peux l'aider et tu le sais !

-Merde ! On a plus le choix, vas-y... »

Sur cette validation, elle approche sa main de mon corps en souffrance, et pose son index sur mon front.

Un flot d'informations traverse mon cerveau. Des flashs de sa vie. Je la vois d'abord petite, environ 6 ans. Elle court après un ballon rouge qui roule sur la route. Je vois en périphérie de mon regard, une voiture rouler sur cette même route. Le véhicule va trop vite pour s'arrêter à temps. Les secondes passent au ralenti, je ferme les yeux pendant le choc.

La scène change, je suis dans une chambre d'hôpital. Une jeune fille, je dirai 10 ans à peine, est allongée sur le lit blanc et aseptisé. À côté, siège une femme aux traits fatigués et emplis de tristesse. Ça sûrement sa mère. Elle a les mêmes cheveux que Catherine, celle qui a posé son doigt sur moi.

La scène change encore, je vois à présent la même jeune fille, mais plus vielle. Peut-être 15 ans, elle court sur une plage. La femme de tout à l'heure la suit en riant. Catherine a dû se réveiller. Elle continue de courir, les embruns de la mer l'éclaboussent. Elle a l'air heureuse, elle rit. Une adolescente accomplie et joyeuse. Une vague légèrement plus grosse que les autres l'a fait chuter, sa tête cogne violemment le sol.

Je suis maintenant dans une chambre similaire à la mienne. Elle est allongée sur un lit comme je l'étais auparavant. Un homme à la cinquantaine la regardait avec perplexité. La jeune femme prit une grande respiration. Elle ouvrit ses grands yeux verts, et regarda partout autour d'elle. Son regard tomba sur l'homme. Elle soupira « Papa » avant de refermer les yeux.

Elle se trouve à présent, devant un petit lac. Elle est songeuse. Elle se met à crier au soleil. « Pourquoi ? » Elle le répète tellement de fois que je ne saurais le compter. On sent facilement le désespoir qu'il y a dans sa voix si douce. Une silhouette arrive en marchant, il se rapproche, c'est Lucas. Ses grands yeux bleus brillent à cause de l'astre qui ne répond pas à Catherine. Il porte des écouteurs, c'est sûrement pour ça qu'il n'entend pas les hurlements de tristesse de la jeune fille. Il relève doucement la tête à l'approche du lac, et il la voit la bouche ouverte vers le ciel. Il enlève un écouteur, et immédiatement tombe à genoux en pleurant, comme s'il ressentait tout le désespoir de la blonde. Elle l'aperçoit en train de pleurer toutes les larmes de son corps. Elle arrête de crier et s'approche de lui, touche son épaule et lui murmure de se calmer. Il lève la tête et lui chuchote des mots que je comprends parfaitement.

« - Tu peux communiquer tes émotions, fais attention la prochaine fois... »

Je suis maintenant à la place qu'elle tenait il y a quelques minutes. Elle me regarde, je suis misérable par terre à pleurer, recroquevillée sur moi-même. Elle s'approche de moi. Je capte le regard méprisant de Lucas. Et elle pose son index sur mon front.

J'ouvre les yeux, je suis de nouveau dans mon corps. Je lève la tête. Elle me fixe, et me demande si je vais bien, à l'aide de ses yeux aussi verts que le lac de mon flash.

J'ai vu les moments marquants de sa vie, c'était elle, j'en suis sûre. Ça doit être ma particularité. Je sais une chose aussi, il ne faut pas qu'ils apprennent mon don.

Je ne sais pas qui est derrière ça, ni même ce qu'est « ça ». Ils ne doivent pas savoir. J'en suis sûre. Ni Lucas et sa haine, ni Catherine et son regard envoûtant. Personne ne doit savoir ce que je peux savoir. Il faut que je travaille, que je maîtrise ce que je peux faire. Et vite, car j'ai l'intuition qu'ils ne doivent pas savoir, à tout prix.


Quand la vie dit non, la mort prend le relaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant