Chapitre 2.2

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Dans quoi j'ai atterri moi encore ?

Il reste là, sans rien dire. Il a sûrement compris que je ne veux pas répondre. Je ne veux pas lui parler, j'ai l'impression d'avoir affaire avec un sombre abruti. Il m'a blessé, et vu le regard méprisant qu'il me porte actuellement, il le refera sans hésiter. Je suis presque sûre qu'il doit y trouver une certaine joie, un certain réconfort.

Nous, les humains, nous nous réconfortons sur notre propre place en rabaissant les autres. Un savoir-faire de qualité. Rabaisser pour se sentir bien. Pour se sentir mieux. Je ne suis pas fière de le dire, mais je l'ai fait aussi. Et je pense que beaucoup voir quasi tous, l'ont fait. Des fois, j'ai honte de notre espèce. Une telle cruauté mêlée à une telle intelligence, ne pouvait être que destructeur. Pour nous-même, et pour notre environnement. Triste sort pour une aussi belle planète, si vous voulez mon avis. Triste sort pour toutes ces vies à demi savourée. J'ai gâché mon enfance, avec des parents comme les miens, il a fallu que je grandisse vite. Pas joli, le résultat.

Je dois me résigner à lui poser des questions à lui. Il me faut plus d'informations pour prendre une décision. Il va falloir que je fasse comme si je n'avais pas envie de lui crier des insanités au visage.

"-Qui est Monsieur Haraud ?"

Il me regarde avec dégoût, ses yeux bleus me lance des éclairs. Le silence s'installe, j'attends une réponse, lui ne veut pas en donner. Les minutes passent, il ne semble pas vouloir me répondre. Pourquoi me hait-il ? D'habitude, les soi-disant suicides provoquent de la pitié, pas de la haine. Je ne comprends rien, j'ai besoin d'avoir des informations. J'ai l'impression qu'il hésite entre me sortir une phrase condescendante ou, je ne sais pas, me dire une petite réponse.

Il pousse un long soupir, comme si je l'ennuyais, ce qui est sûrement le cas. On dirait qu'il est dans une profonde réflexion. Il est toujours dans l'encadrement de la porte, il regarde par la fenêtre, il doit regarder le paysage.

À vrai dire, il ne connaît rien de moi. Et je ne connais rien de lui. Il n'a pas le droit de me juger. Il n'était pas dans ma tête. Ce n'est pas lui qui a attendu des longues soirées, que ses parents pensent à rentrer. Ce n'est pas lui qui a dû se mettre un masque tous les matins, et pleurer tous les soirs. Je ne me plains pas. Mais il ne sait pas, personne n'a le droit de juger quelqu'un. On a tous une façon de gérer nos problèmes, on a tous une vie différente avec des épreuves plus au moins dures. Donc, ce que je sais, c'est que personne ne peut dire ce qu'un autre a ressenti, ce qu'un autre a vécu.

Il repose son regard sur moi, il a pris sa décision. J'espère juste qu'il ne va pas essayer de me blesser.

"-Je suis désolé, je n'ai rien le droit de te dire. Je vais faire une petite entorse à nos règles pour toi. Parce que, même si je n'ai que des ressentiments pour toi et tes pitoyables conneries, je sais ce que ça fait de ne pas savoir ce qu'il se passe. J'ai vécu la même chose que toi. Je ne sais pas pourquoi tu es devenue spéciale. Mais je peux te raconter, comment et pourquoi je suis ici à te parler. Il détourne le regard de moi, et ses yeux bleus s'assombrissent, comme si la nostalgie les teintait d'ombre. Bon, ne commençons pas le début, qui suis-je ? Je m'appelle Lucas Night. Je suis né dans un petit village, où tout le monde se connaissait. J'ai donc grandi avec les mêmes personnes. Je vivais avec mon père, ma mère et ma petite sœur, dans une maison près de l'école de la ville. Ma mère était orpheline, et j'ai appris en venant ici, qu'elle était le fruit d'une expérience génétique menée sur des couples stériles pendant les années 70. Vers mes 14 ans, comme je te l'ai déjà dis, j'ai eu un accident de voiture. On voulait aller au cinéma, j'avais insisté pour regarder le nouveau film à la mode que tous mes copains avaient déjà vu. Et quand on a abordé un virage plutôt serré, pour aller à la grande ville, la voiture a fait une embardée. On est tombé dans le fossé. Dans la voiture, on était tous les quatre. On est tous mort sur le coup. Il ferme les yeux quelques secondes, j'aimerai bien qu'il continue, mais je vais lui laisser le temps. Ça doit être dur pour lui de me raconter ça. Je comprends mieux pourquoi il hait tant l'idée d'un suicide. Ses parents et sa sœur n'ont pas eu de choix. Mais, pourquoi me dit-il qu'il est mort avec eux ? Il est devant moi, il ne peut pas être un fantôme. Ou alors, je suis moi aussi morte ? Et je me suis réveillé ici, il y a 2 ans maintenant. J'ai appris quelques... détails qui m'ont chamboulé. Je suis bien mort dans cet accident de voiture, seulement voilà, il y avait quelques choses de différents dans mes gènes, dût à la particularité de ma mère. Me demande pas pourquoi ma sœur n'est pas avec moi, je n'en sais rien. C'était un ange blond. Une larme se forme au coin de ses magnifiques yeux emplis de tristesse. Il porte instinctivement sa main vers son collier. Il devait être à elle... Bref, Monsieur Haraud m'a expliqué que mystérieusement mon corps s'était conservé pendant un an exactement. Et au bout de ces 365 jours, je me suis réveillé. Comme tu l'as fait aujourd'hui. On a un espèce de gène, une soi-disant particularité, qui n'a pas laissé notre corps pourrir. J'ai passé les jours suivants dans un état comateux. Je retournais les images de l'accident dans ma tête. Au bout d'environ une semaine, j'avais décidé de me suicider. Puis, j'ai réalisé que je n'avais pas le droit de faire ça à la mémoire de ma famille. Et enfin, un matin, j'ai découvert ça."

Il me regarde dans les yeux, puis fixe la chaise du bureau. D'abord rien ne se passe. Et d'un coup, la chaise bouge de quelques centimètres.

Il ne l'a pas touché. Il est encore près de la porte.


Merde, c'est quoi ce bordel ?!

Quand la vie dit non, la mort prend le relaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant