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   Je finissais par me détendre un peu. Non pas que je me sentais plus décontracté que tout à l'heure, mais au moins mes amis réussissaient à me faire rire. J'avais même bu la moitié de mon verre sans m'en rendre vraiment compte.

   Puis j'ai tourné la tête. J'ai regardé par curiosité la scène et son chanteur, et je l'ai vu. Il faut le voir tel que vous l'aviez imaginé dans ce parc. Cheveux blonds, peau pâle et yeux sombres. Rajoutez à cela de longues jambes. Il se tenait droit, sa guitare dans les mains et le micro devant sa bouche. L'air de rock emplissait l'espace et le vertige me prit. Pendant un instant, j'avais l'impression que l'espace autour de moi tanguait. Sans doute le début d'alcool que j'avais bu et la surprise avaient fait cet étrange mélange.

   J'ai cligné plusieurs fois des yeux, pour être sûr. Je m'étais mis à sourire et cela avait fait plaisir à mes amis. Je m'étais alors penché vers eux pour leur dire :

« C'est lui. »

   Ils avaient tout de suite compris. Ils ont tourné d'un même mouvement leur regard vers le blond et ils se sont aussi enthousiasmés que moi. Alors dans l'impatience d'une vraie rencontre, j'ai attendu que la chanson se termine, j'ai applaudi quand sa voix s'était éteinte et j'ai attendu qu'il vienne. Mais personne n'a traversé la salle, personne n'est sorti des coulisses et personne n'est venu prendre un verre au bar. Il avait de nouveau disparu.

« Je vais prendre l'air. »

   Gally commandait une nouvelle chope de bière pendant que Minho me tapait amicalement dans le dos en signe de soutien. J'atteignis rapidement le trottoir et avançais jusqu'au quai, en face. La nuit bien présente se reflétait dans le miroir de la Seine.

   Je me sentais seul. C'est con, mais c'est vrai. Cette rencontre, je l'avais attendu. Je l'avais imaginé, je l'aurais écrite si j'y avais pensé. Et j'avais le goût amer d'un regret, d'une chance passée, d'une opportunité ratée. J'étais là, seul sur ce quai, à me dire que je n'aurais pas d'autres occasions. Peut-être que cette dernière image était un au revoir, un signe que m'envoyait le destin pour me dire d'arrêter de penser à lui. Ça restait une dure façon de me le faire comprendre.

   Je continuais de fixer l'eau tandis que la ville, loin d'être déserte, continuait ses bruits en tout genre. Les passants ne s'arrêtaient pas, sauf un. Une personne se trouvait debout sur le quai, à quelques mètres de moi. Instinctivement, j'avais tourné la tête. Il était là, une cigarette entre ses doigts, la fumée s'échappant de ses lèvres et son regard tourné vers l'eau. Même dans l'obscurité de la nuit il restait beau.

   Il a fini par voir que je le fixais. Moi, perdu dans mes pensées, j'avais laissé la discrétion de côté. Il m'a regardé avant de reporter son attention vers le fleuve. Il a souri aussi, je me souviens bien de ce sourire. Il a tourné les talons avant de tourner son regard. Il m'a observé et il s'est avancé vers moi.

« Tu m'as vu chanter. »

   C'étaient ses premières paroles à mon égard.

« Tu as été magnifique. »

   Et même aujourd'hui, je ne sais absolument pas comment j'avais réussi à parler. Sans savoir pourquoi, ce jeune homme m'intimidait en même temps qu'il m'encourageait.

« Je crois que tu exagères un peu. »

   J'avais souris à mon tour alors qu'il avait consumé entièrement son mégot. Ce dernier se retrouva bientôt écrasé contre une semelle, baskets vieilles comme le monde.

« Tu n'es pas un habitué de la nuit, je me trompe ?

-En effet, je lui avais répondu sans perdre mon sourire.

-Tu as tort, c'est encore mieux quand les gens dorment. »

   Je n'en avais pas douté une seule seconde. Encore aujourd'hui, je serais incapable de décrire ce que je pouvais ressentir à ce moment-là. Une sorte d'excitation mêlée, comme dit un peu plus tôt, à une intimidation. C'était un véritable personnage que j'avais sous les yeux, quelqu'un qui, peut-être sans s'en rendre compte, me mettait dans un état dans lequel je n'avais jamais été.

« Ça te dirait de venir avec moi ? »

   Il reculait déjà en me disant ça.

« Où ça ? »

   Je ne le suivais pas, je restais comme planté dans le sol à le regarder s'éloigner peu à peu. Il avait alors haussé les épaules et s'était mis à sourire :

« Quelque part. »

Newt est un rêve  [Newtmas]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant