09

303 55 51
                                    

« Je ne chante pas, ce soir. »

Je me suis retourné et je l'ai vu. Là, sur le trottoir, face à moi. Il avait les mains dans les poches, il n'avait pas de cigarette, et il portait mon t-shirt. Je me suis avancé vers lui et j'ai attendu un peu. Cela faisait deux semaines que je ne l'avais pas vu.

Il m'a fait un signe de tête et nous sommes descendus sur les quais. Nous avons commencé à marcher, je jouais avec mes mains pour m'empêcher de trop penser.

« Je pensais que tu n'aurais jamais eu le cran de revenir. »

Je tourné la tête vers lui, mon regard pour toute réponse, mais lui fixait le lointain. J'ai compris que je l'avais sûrement blessé, même si je n'arrivais pas à deviner ce qu'il pouvait ressentir à ce moment-là.

« Qu'est-ce qui t'a décidé à revenir ?

-L'ennuie, je suppose.

-Donc je ne suis qu'une distraction ? avait-il demandé.

-Au moins tu es quelque chose. »

Bien que je n'arrivais pas à capter son regard, j'avais réglé mes foulées aux siennes et je l'avais suivi. Je ne savais pas où il comptait m'emmener, d'ailleurs je ne savais pas s'il voulait m'emmener quelque part en particulier. Le trajet fut un peu long et nous avions tout le temps garder le silence. Mais ce calme-là ne faisait pas partis de ceux qu'on voudrait éviter. Ce n'était pas gênant, aucun de nous n'avait envie de le combler. Je ne pense pas qu'on aurait réussi à le combler correctement. Il y a des moments où le silence est plus important. Alors nous avons marché côte à côte jusqu'à monter un escalier et traversé quelques rues.

Je ne faisais pas attention aux personnes que nous pouvions croiser. Toute ma concentration était fixée sur lui. Il a sorti des clés de ses poches et s'est dirigé vers une grande porte bleu pâle. Il a inséré les clés dans la serrure et pendant ce temps je lisais l'enseigne. Newt m'emmenait dans une bibliothèque.

Plus rien ne m'étonnait venant de sa part. Après tout, je ne le connaissais pas, et peut-être que le lendemain il dirigerait une conférence. Je n'en savais rien mais dans l'instant je voulais le suivre. Simplement être avec lui. Nous avons monté trois étages et il m'a conduit jusqu'au fond. Nous avons ignoré la plupart des rayonnages jusqu'à arriver au dernier. Là, il s'est caché du monde entre deux étagères, comme si personne ne pouvait le voir. Je l'ai suivi, désireux d'être aussi invisible.

Il a mis son indexe sur sa bouche pour que je ne fasse aucun commentaire et que je ne pose aucune question. Il a pris un livre et s'est assis par terre. Je me suis mis à ses côtés et il a ouvert le livre. Il m'a lu un poème.

« L'angoisse

Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs
Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales
Siciliennes, ni les pompes aurorales,
Ni la solennité dolente des couchants.

Je ris de l'art, je ris de l'Homme aussi, des chants,
Des vers, des temples grecques et des tours en spirales
Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales,
Et je vois du même œil les bons et les méchants.

Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et le renie
Toute pensée, et quant à la vieille ironie,
L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus.

Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille
Au brick perdu jouet du flux et du reflux,
Mon âme pour d'affreux naufrages appareille. »

Il laisse le silence nous envelopper de nouveau, bien que celui-ci soit différent de son prédécesseur.

« C'est du Paul Verlaine. »

Je n'ai rien dis, j'avais lu son nom sur la couverture. J'avais très bien compris le message, et maintenant que je voulais revoir Newt, je ne devrais pas me défiler comme je l'avais fait. Je soupire et je lui demande tout aussi doucement que lui :

« Tu pourras m'attendre demain matin ?

-Je n'attends jamais personne quand le soleil est levé, Tommy. »

Je n'avais rien dit et je l'avais regardé. Je l'avais fixé, j'avais plongé mes yeux dans les siens et je m'étais perdu dans toutes ces couleurs. Parce que oui, ses yeux étaient sombres, mais de près on pouvait y voir des formes, comme des ombres qui ne cessaient le combat pour l'emporter sur les petites touches dorées qui longeaient sa pupille. Sa voix m'avait sorti de mes rêveries :

« Et où est-ce qu'il faudra que je t'attende ? »

*

Je marchais d'un pas lent pour rentrer chez moi. Je faisais route seul, Newt m'ayant abandonné près des quais. Je venais d'arriver sur le pont par-dessus lequel il avait sauté. Je m'étais arrêté en son centre, me remémorant la scène ainsi que les battements frénétiques de mon cœur.

J'avais ensuite repris ma route en repensant au poème que m'avait lu Newt. Je devais bien lui expliquer. Pour l'instant, il ne comprenait pas tout. Je repensais à ses quelques paroles et à ses yeux. Ses beaux yeux qui envahiraient sûrement mes rêves. Mes doigts glissant sur la pierre de la rambarde, je faisais face à la nuit pour rentrer chez moi.

Newt est un rêve  [Newtmas]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant