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   Cette porte blanche, je la connaissais par cœur. Le visage des différents médecins de cet hôpital aussi. Ils me connaissaient également, ils savaient pourquoi je venais régulièrement. La surprise s'est lue sur leur visage quand ils ont remarqué que j'étais accompagné. Après tout, c'était bien la première fois que je venais avec quelqu'un.

   Newt avait gardé le silence. Il était arrivé le premier. Je l'avais vu fixer l'enseigne sans bouger. Je m'étais demandé à quoi il pouvait bien penser. Il n'avait pas souris une seule fois, il savait que le sujet serait sérieux. Il l'était.

   Maintenant que nous étions devant cette fameuse porte et que j'allais abaisser la poignée pour la énième fois, le blond m'avait retenu.

« Tu es sûr de vouloir faire ça ? »

   Lui n'était peut-être pas près à entendre cette histoire. Néanmoins, j'ai ouvert la porte et je l'ai laissé entrer.

   Il a vu ma sœur accrochée à tous ces fils et n'a fait aucun commentaire. Il l'observait et moi je refermais la porte, entrant à mon tour.

« Salut Rachel, je te présente Newt. »

   Il ne m'a pas regardé comme un fou. Il s'est assis sur la chaise que je lui présentais et j'ai fais de même en face, Rachel entre nous. Il la regardait.

« Rachel est ma sœur. Elle a eu un accident il y a cinq mois. Chaque jour, j'espère qu'elle se réveillera. J'y crois. Elle a fait des choses qu'on ne fait pas en général. Pour te donner un exemple, sauter d'un pont comme tu l'as fait, ce n'est pas ce qu'on est censé faire.

-Thomas, je sais que c'est peut-être dur à entendre, mais ce qui est arrivé à ta sœur ne doit pas te restreindre. »

   Je l'ai regardé avec tellement d'intensité que le reste autour de nous disparaissait.

« Ça ne doit pas t'empêcher de vivre. Au contraire, la vie, ou le destin, ou Dieu, ou ce que tu veux, te montre d'une certaine façon que la seule chose que tu risques, c'est de ne plus pouvoir rien risquer. »

   Et j'ai continué de le regarder. C'était peut-être mon regard qui l'a fait partir. Il s'était levé et il avait quitté la chambre, refermant doucement la porte et accordant un dernier regard de compassion à Rachel. L'instant d'après, ma chaise raclait sur le sol et je me suis précipité à sa poursuite. J'ai pu le rattraper sur le parking.

« Tu ne sais même ce que tu dis. »

   Ça avait suffi pour qu'il s'arrête et que je puisse avancer à sa hauteur. Face à face, je n'arrivais toujours pas à déterminer son regard.

« Si, je le sais.

-Prouve-le. »

   Il avait serré les poings, comme pour s'empêcher de répliquer.

« Je ne sais pas si tu dis ce que tu penses ou si tu dis ça juste pour obtenir de moi ce que tu veux.

-Et je veux quoi, d'après toi ? »

   Sa voix était devenue froide, presque glaciale.

« A toi de me le dire, t'es tellement difficile à cerner, avais-je lancé.

-Il y a des choses qui ne se disent pas.

-C'est exactement ce que je viens de faire ! Je viens de te le dire, Newt. Je viens de te confier LE truc qui fait que je suis comme je suis.

-Non, ça ce n'est qu'un prétexte. Ta sœur n'a rien demandé. Et elle ne voudrait sûrement pas que tu t'empêches de vivre juste parce qu'elle n'est pas encore prête à ouvrir les yeux.

-Et qu'est-ce que t'en sais ?! »

   Je l'avais poussé.

« Thomas, il faut que tu arrêtes de te mettre des barrières et que tu avances.

-Tu ne me connais pas.

-Et toi non plus, ça nous fait un point commun. Tu ne te connais pas toi-même, tu ne sais pas de quoi tu es capable.

-Lâche-moi ! »

   J'avais presque hurlé, ma gorge avait supporté de justesse l'effort et moi j'avais peur qu'il ait raison. Je ne voulais pas que ce soit vrai. Je ne voulais pas l'entendre dire de telle chose. Je voulais qu'il s'éloigne, qu'il me laisse tranquille, qu'il me laisse faire ce que je veux faire et ce que je sais faire. Ce que j'ai déjà fait. Qu'il ne m'entraîne plus dans ce que je ne connaissais pas. Mais à la place, il s'était avancé vers moi. Ses deux mains sur mon visage, il avait attiré ma figure vers lui et avait déposé ses lèvres sur les miennes. Newt m'avait embrassé et, là sur ce parking où on venait juste de s'engueuler, il venait de m'offrir mon premier baiser.

   Quand il s'est décalé, ses yeux ont cherché à découvrir ce que les miens pouvaient dire sur mes pensées. Mais il n'a dû y lire que de la perdition et il est partit. Je me retrouvais seul à essayer de me souvenir comment on en était arrivés là. Tout ce que je savais, c'était que je n'avais jamais vécu une chose pareille.

*

   Le silence qui nous entourait, avec ma colocataire, était dérangeant. Aucun de nous ne savait quoi dire. Moi, je mangeais mes pâtes et je ne souriais pas. Elle voyait que je n'avais pas envie de parler. Sonya respectait toujours mes silences et ne me demandait jamais de m'expliquer. Je parlais si j'en avais envie.

   Avant d'avoir pu finir mon assiette, je m'étais levé de table. J'avais eu besoin de sortir de ce silence. Un besoin de m'occuper l'esprit m'avait pris. Le travail restait donc la seule distraction que je pouvais m'offrir.

   Accoudé à mon bureau, ma chaise tournante immobile, j'ai regardé un instant la liasse de feuilles qui me servait de cours. Rangés dans l'ordre chronologiques, annotations, recherches personnelles, livres et séparations distinctives. Devant moi, une feuille accrochée où figurait tous les sujets des devoirs que je devais rendre. Je notais sur une feuille vierge le premier sujet venu et pris mes cours le concernant. J'ai tout lu et j'ai commencé à travailler.

   Puis j'ai ouvert les yeux quelques heures après les avoir fermés. Je pressentais le mal de cou, ma joue sûrement encore rouge d'avoir reposé sur mon bureau. Je m'étais endormi mais, à regarder mon travail nocturne, j'avais plutôt bien avancé. Cela m'avait empêché de trop penser, même si ça ne m'avait pas permis de dormir plus.

   J'avais réussi à écrire deux devoirs. Je les relirais plus tard. Un regard à ma montre me fit comprendre que j'étais en retard. Je m'étais dépêché de prendre mon sac, sans passer par la salle de bain ou la cuisine. J'ai pris le métro et j'ai serré la barre avec force comme s'il allait accélérer sous la pression de ma main. Mais en chemin, je me suis rendu compte que nous étions dimanche.

   J'étais sorti à la station d'après et j'avais trouvé un parc. Pas de cours aujourd'hui. Mais il fallait voir le bon côté : non seulement je ne serais pas en retard, mais en plus de cela j'avais réussi à prendre de l'avance sur mes devoirs. Un banc en vue, je me suis finalement laissé tomber dessus en soupirant de guerre lasse.

Newt est un rêve  [Newtmas]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant