LE JOUR d'Halloween, Benjamin était passé me chercher chez moi. Ma mère était de garde, ce qui m'arrangeait grandement, pour une fois.
J'avais enfilé un chemisier à jabot blanc, un pantalon rose, des chaussettes blanches qui remontaient jusqu'au genoux, mes derbies fétiches et un long manteau bordeaux. Pour le crochet, j'avais enlevé la tête d'un peintre pour le glisser dans ma manche. Une fausse moustache dessinée au liner et une grosse plume sur le crâne - faute de chapeau, je pouvais me considérer prête.
"Ah ouais, tu rigolais pas quand tu disais que t'avais le manteau parfait.
- Montre ta gueule de crocodile, qu'on rigole."
Il rabattit la capuche sur sa tête et s'exposa à la lumière. Tout de vert paré, il avait une tâche blanche au ventre et des pics jaunes sur les bras. Une tête de crocodile ridicule sur le crâne, et sa propre tête d'imbécile heureux sous le déguisement.
"Alors, on va pas faire le duo le mieux assorti de la soirée ?"
Il me prit par le bras après que j'ai fermé la porte à clé et m'emmena vers la soirée d'Halloween que j'attendais avec impatience.
*
Je reconnus plus de monde que je l'eus cru dans cette soirée. Gloria, qui s'était moquée de nous en voyant nos costumes, avait invité des gens du lycée. Je reconnus Olivier, un garçon de ma classe, qui avait toujours été gentil avec moi.
Evidemment, la meilleure amie de Gloria était là, elle aussi. Déotile était installée sur le canapé avec son Lucas qui lui collait aux basques. Elle portait une jolie robe noire, des fausses dents et du faux sang collé au visage; dents que Lucas enleva pour l'embrasser de manière presque déplacée sur le canapé.
J'aperçus un garçon qui regardait aussi la scène et crispa son verre entre ses doigts si fort que le liquide déborda et il en renversa sur le sol et sur sa chemise blanche.
« Putain, Gus ! se plaignit Gloria. T'as cru que ton verre était en titane ou quoi ?
— Désolé, marmonna le concerné.
— Déo, appela la blonde. T'as pas un tee-shirt de secours dans ton sac ?
— Si, je vais te le chercher. »
Gloria allait protester mais la brunette l'implora du regard. Elle se leva sans écouter les protestations de son copain et courut dans le hall d'entrée pour chercher son tee-shirt de secours.
« Ce pauvre mec la kiffe. Déotile. Ça crève les yeux. Le truc c'est que je sais même pas si elle sait qu'il existe, chuchota Benjamin en pointant le garçon à la chemise trempée d'un coup de menton.
— Il a l'air gentil.
— Glo l'aime bien aussi. »
Déotile revint en trottant sur ses petits talons, un tee-shirt à la main.
« T'as pas intérêt à le tâcher, j'y tiens, menaça-t-elle en tendant le tee-shirt au garçon. »
Elle leva les yeux sur lui et lui adressa un grand sourire. Le garçon baragouina un petit merci avant de partit s'enfermer dans les toilettes.
« Au moins, maintenant elle sait qu'il existe. »
Benjamin me décocha un sourire complice et m'entraîna vers les grands bols de bonbon.
*
Le film avait commencé, mais il ne me plaisait pas. Trop d'hémoglobine. Je prétextais une envie pressante à Benjamin, qui se moqua de moi en disant que j'étais une poule mouillée. Ce qui n'était pas foncièrement faux.
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La nuit pleure aussi.
Novela JuvenilLe bonheur, pour Astrée, c'est quelque chose de très simple. Le bonheur, pour Benjamin, c'est que des trucs qu'on voit dans les chansons.