JE N'AVAIS pas été miraculeusement invitée à une grosse soirée de nouvel an. Cynthia et Giselle n'étaient même pas en ville.
Maia m'avait dit "je t'aurais bien invitée parce qu'on fait un petit truc avec des potes et tu pouvais venir sans problèmes, mais y'a Olive". Ce qui disait tout.
Pas de passe-droit magique pour une soirée de Gloria à laquelle je n'étais même pas sûre de vouloir assister.
Alors que ma mère m'avait elle-même laissée pour un truc chez le père d'Olivier, après avoir insisté une bonne demie-douzaine de fois, je m'étais affalée sur le canapé et je faisais le point sur ce qu'avait été cette année 2016.
Je m'étais fait des amies que j'avais perdues. Je m'étais fait un ami que j'avais gardé. J'avais commencé à apprendre la guitare même si je n'étais pas très bonne. Je m'étais engueulée avec Justine. J'avais eu mon premier baiser cet été, avec un garçon d'un an plus jeune que moi qui avait du sable dans les cheveux et un accent très britannique, dont je n'avais aucune nouvelle mais ça ne me dérangeait pas.
Puis j'avais eu mon premier copain, et pas eu peur de l'embrasser. J'étais passée en première, j'ai eu ma première note en dessous de la moyenne en maths, suivi de mon premier dix-sept en physiques. J'avais été à ma première soirée, j'avais vu les gens de ma classe sous un autre angle et j'avais failli assister à une scène de sexe dans les toilettes.
Finalement, ça ne semblait pas beaucoup, mais pour moi c'était plutôt énorme.
Alors que j'allais lancer un film qui me ferait oublier la tristesse qu'était un nouvel an seule, mon téléphone vibra. Je m'attendais à une vidéo d'une Déotile déjà bourrée qui peinerait à baragouiner : comment tu vas toi eh dis bonne année t'es trop cool comme meuf!
Mais c'était juste un message de Benjamin.
"eh la comète, c'est quoi tes plans pour le 31? je t'aurais bien proposé un plan guitare chez Glo mais tu te doutes qu'on s'est fait envahir"
Je lui répondis alors qu'il pouvait venir et lui donnais l'adresse de chez moi.
Il arriva une petite demie-heure plus tard, avec sa guitare sur le dos, un bonnet qui cachait sa tignasse épaisse et un gros pull en laine verte.
"Salut."
J'avais le coeur qui battait un peu trop fort dans le fond de ma poitrine, parce que c'était la première fois que quelqu'un venait chez moi, à part Olivier pour venir me chercher. Mais il n'avait jamais enlevé ses chaussures, monté l'escalier qui craquait un peu pour aller s'asseoir sur mon lit. Il n'avait jamais bataillé avec la douche, jamais fumé sa cigarette à la fenêtre de la cuisine, jamais feuilleté le livre de cuisine qui traînait sur la table et que ni ma mère et moi n'avions rangé.
"Ca fait pas de mal, un peu de silence, constata-t-il. J'en pouvais plus d'entendre la même musique. Tu sais que je connais Les Démons de minuit par coeur à cause d'elle ? Je déteste cette chanson.
- M'en parle pas, elle est relativement nulle.
- Qui ça qui ça ?"
J'étranglais un rire et l'invitais à enlever ses chaussures.
"Tu veux boire un truc ?
- De la vodka, si t'as."
A voir mon sourire s'évanouir sur mes lèvres, il éclata d'un rire sincère.
"C'était une blague, idiote. Par contre, je veux bien n'importe quel soda qui me fera regretter après être monté sur la balance.
- T'es fin comme un haricot, Ben, arrête.
- Je cache bien mon jeu, j'ai un petit bidou avant l'heure."
Alors qu'il se déchaussait - avec ses chaussettes dépareillées : une rouge, une verte, je me dirigeais vers la cuisine pour nous remplir deux verres d'un soda au citron que ma mère avait acheté.
Je ne me sentais pas à l'aise, au début, de voir quelqu'un pénétrer ma bulle de confort, s'asseoir sur le canapé que j'avais tellement usé devant des films, de boire dans les verres que je sortais machinalement au petit déjeuner.
Mais j'étais contente que ce soit Benjamin.
Il se mit à jouer un peu de la guitare et je regardais le givre couvrir les vitres, avec le son des cordes, et il ne chantait pas mais je n'avais qu'à fermer les yeux et je pouvais entendre la voix. C'était des chansons que je connaissais par coeur.
"Tu t'endors pas, hein, il est pas encore minuit.
- T'auras qu'à me réveiller.
- C'est quand même moins drôle."
Et je n'aurais pas cru, en allant m'inscrire au conservatoire, que j'allais en arriver là. On ne pensait jamais que les gens auraient un tel impact dans notre vie.
Pourtant, il grattait sur sa guitare, assis en tailleur sur mon canapé, à fredonner des airs sans trop oser pousser la chansonnette.
Ca semblait être le meilleur nouvel an que j'ai jamais passé, pour l'instant.
"On va faire un jeu à boire mais sans alcool, ça te va ?
- Comment ça ? l'interrogeai-je.
- Tu bois pas, j'ai pas forcément envie de me mettre une race, mais bon, ça empêche pas de faire des jeux sympas.
- Tu proposes quoi ?"
Benjamin remplit nos deux verres de limonade trop sucrée.
"T'as quoi comme dessins animés ou films drôles ?
- Le dîner de cons ?
- Alors voilà le deal. A chaque fois qu'on rigole à une blague du film, on prend une gorgée, et le premier qui a fini son verre a un gage, ou dois raconter un de ses secrets, ou je sais pas trop quoi. Chaud ?
- Evidemment, parce que je vais gagner."
Nous échangeâmes un regard de défi en installant le film. Au final, nous guettions plus les réactions de l'autre et nous voir étrangler nos rires tant bien que mal n'aidaient pas à les contenir.
A minuit, j'entendis un vague brouhaha venant des voisins. Et puis, je le regardais, lui, et je me sentais bien, parce qu'il n'y avait pas meilleure personne avec qui commencer mon année que Benjamin.
"Bonne année, la comète."
J'ai souri, en espérant que ce réveillon n'était que le premier d'une longue série de réveillons. Dans un élan de courage, je pris sa main dans la mienne.
"Bonne année, Ben."
Ce fut une des premières fois que je croyais réellement aux bonnes années.
Visiblement, je n'étais pas la seule, puisqu'il se pencha vers moi pour m'embrasser.
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La nuit pleure aussi.
Teen FictionLe bonheur, pour Astrée, c'est quelque chose de très simple. Le bonheur, pour Benjamin, c'est que des trucs qu'on voit dans les chansons.