JE M'ETAIS enfermée dans ma chambre, incapable d'en sortir, avec l'impression que le noeud dans ma gorge avait pris la taille d'une grosse pomme.
Une grosse pomme sensible à l'air. Si j'avais le malheur d'ouvrir la gorge, d'inspirer un peu trop fort, de commencer à parler, ce gros noeud qui faisait barrage aux larmes allait se dénouer.
Et je ne voulais pas être cette fille qui pleurait pour une rupture. Surtout quand c'était moi qui avait pris l'initiative de rompre. Je me trouvais déjà particulièrement égoïste et l'idée de vouloir pleurer m'enfonçais encore plus que l'idée même de la rupture.
Alors que j'allais prendre mon téléphone pour enfoncer mes écouteurs dans mes oreilles et lancer ma playlist de chansons qui me remontaient le moral - il y'en avait même une de Saez que j'aimais particulièrement, je vis que Maia, Giselle et Cynthia s'activaient particulièrement sur le groupe.
Je n'avais pas la force de défiler chaque message, ayant vu le terme 'Olive' plusieurs fois.
Mais lorsque je vis que j'avais reçu un message de Giselle, je ne pus m'empêcher de le lire. Sûrement une sorte de curiosité : qu'est-ce qu'elle me voulait ? Pourquoi me révélais-je subitement digne d'intérêt ?
"hey, je comprends si tu réponds pas et si tu veux pas répondre, mais si jamais t'as pas envie d'être seule sache que personnellement, les nouilles chinoises ont la capacité de réparer mon coeur en cas de vie sentimentale de merde. bisous"
Son message m'arracha un maigre sourire. Puis, me revinrent les voix de Justine et d'Olivier. Celles qui disaient que je méprisais tout le monde, que je mériterais ma solitude, que personne ne serait là pour moi.
Ce fut à ce moment là seulement qu'une larme coula. La première.
La preuve que je n'étais pas seule.
Je lui répondis à l'affirmative, parce que si son message m'avait fait ce drôle d'effet là au coeur, alors qu'en serait-il d'un repas avec elle.
Je fis l'effort de mettre un peu de fard à paupières, un joli rose qui brillait au dessus de mes yeux.
Puis je rejoignis Giselle, qui m'attendait devant le conservatoire. Son cou était mangé par un gros col roulé marron, elle portait un des deux seuls pantalons de sa garde-robe et ses Docs fleuries aux orteils carrément passés. Son épaisse tignasse blonde qui la faisait ressembler à un croisement entre un lion et un soleil était serrée en un chignon qui ne croulait même pas.
"Ca va ? s'inquiéta-t-elle en premier lieu, posant la main sur mon épaule."
J'opinais un peu difficilement. La grosse pomme dans ma gorge s'était réduite à une petite clémentine, mais prenait toujours un peu de place, et je ne voulais pas fondre en larmes.
"Tu sais, c'est pas grave, je veux dire, Olive il est cool mais si t'avais pas envie de sortir avec lui on y peut rien, c'est comme ça, l'amour, c'est de la merde mais on en veut quand même."
J'haussais les épaules ; ses mots ressemblaient à une pelote de lettres emmêlées qui ne formaient aucun sens mises bout à bout, comme un immense cafouillage. Comme si elle avait pioché des mots réconfortants au hasard, sectionnés des bouts de phrases clichées pour faire sa propre phrase clichée, qu'elle voulait me remonter le moral mais ne savait pas comment faire.
"T'as pas à t'en vouloir, tu sais, c'est comme ça et puis c'est tout. Et il retrouvera une autre nerd avec qui avoir des dates à la bibliothèque. Et toi tu trouveras quelqu'un qui te correspondra plus. Ca vous fait pas perdre de temps à vous détruire.
- Nous détruire ?
- Je crois qu'il y'a un truc de pire que de sentir que la personne que t'aimes ne t'aime pas en retour. C'est quand la personne avec qui tu sors ne t'aime pas, ou ne t'aime plus. Là, tu te demandes juste si c'est une question de pitié ou quelque chose."
Alors qu'elle pressa un peu plus mon épaule pour m'inviter à avancer, je ressentis une énorme boule de culpabilité se former avec mes intestins et je n'avais subitement plus faim du tout.
"Honnêtement, je sais que c'est pas le moment de parler de ça, mais des fois, on voit pas trop les choses de nous-mêmes. Mais à l'extérieur, ça se voit que tu kiffais quelqu'un. Et que ce quelqu'un, c'était vraiment pas Olivier.
- Il est gay."
Giselle laissa échapper un rire à la fois surpris et choqué.
"Qui ? Olivier ?
- Non. Benjamin.
- Qui t'a dit ça ? s'étonna la blonde en fronçant les sourcils."
Je soupirais, concentrée dans des phrases concises qui m'empêchaient de trop parler, de prendre le risque de pleurer.
"Olivier.
- Ah, oui, bon. C'est parce que Gloria est lesbienne, il doit se dire qu'être gay c'est un gène, genre t'as un petit chromosome arc-en-ciel. Mais vraiment, je pense pas, à la limite il peut-être bi, tu vois, Cynthia aussi est bi, ça existe les gens bi et y'en a plus qu'on le pense. Juste que non, il doit au moins avoir une part de lui qui aime les filles.
- Qu'est-ce que t'en sais ?"
Elle esquissa un sourire complice.
"Juste la manière dont il te regarde."
Je ne voulais ni y croire, ni continuer à en parler.
L'amour, on le cherchait trop, par tout les moyens, jusqu'à oublier à quel point ça faisait mal. D'aimer sans retour, d'aime trop, d'aimer pas assez, de ne pas aimer. J'allais mieux quand je n'aimais pas, je n'avais personne envers qui m'inquiéter, à part moi-même. Je n'avais pas connu la définition du malheur avant d'avoir ouvert mon coeur.
Les coeurs, c'était des boîtes de Pandore. Il suffisait de les ouvrir un peu pour qu'un tas de saloperies s'y glissent et mettent des idées noires dans nos têtes, des angoisses dans nos veines et des cordes autour de notre gorge, qui se serraient à chaque idée un peu trop inquiétantes, à nous faire peiner d'y trouver de l'air, à hyperventiler pour un peu de silence.
Et j'avais l'impression que c'était trop tard, maintenant, pour revenir un arrière. Que maintenant, l'amour m'avait jeté dans le remous tumultueux de la vie, que je devais m'habituer à nager dans les fortes tempêtes, que les vagues se brisent sur mon corps, que le courant m'emmène là où il voulait sans que je puisse y changer grand chose, mais que je devais impérativement apprendre à nager avant de me noyer dans l'eau salée toute entière.
Puis, je compris pourquoi la solitude n'aidait pas.
Parce qu'en regardant Giselle, qui avait fait l'effort de venir, juste pour moi, pour m'aider, qui m'avait vue me noyer et qui m'avait tendu la main pour me sortir la tête de cette eau, j'ai compris que les humains pouvaient à la fois se noyer entre eux, mais qu'on était aussi la bouée des autres.
Qu'aujourd'hui, Giselle était ma bouée, qu'elle m'aidait à respirer, à maintenir ma bouche près de l'air, de la lumière. Mais que demain, c'était à moi d'être la bouée de quelqu'un.
Cette pensée me conforta autant qu'elle me glaça le sang.
J'ai écris ceci après une déception amoureuse and it shows
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La nuit pleure aussi.
Teen FictionLe bonheur, pour Astrée, c'est quelque chose de très simple. Le bonheur, pour Benjamin, c'est que des trucs qu'on voit dans les chansons.