FULLERTOWN - Tome 1 [RÉÉCRITURE]

• Chapitre 33 •

Rien n'a de sens. Pas plus ses mots que son attitude. Austin Byson Clarks alterne constamment entre un état de fureur intense, de protecteur anxieux ou encore celui de séducteur malicieux et immature.

  Fronçant les sourcils et attendant désespérément qu'il retrouve son calme, je patiente assise sur un rocher pendant que son regard se porte sur l'eau ruisselant à quelques mètres de nous. Ses respirations ne cessent d'être rapides et irrégulières, ses muscles bandés par la colère.

  Prise d'un malaise face à l'absence complète de mots entre nous, je choisis de prendre les devants tout en l'écoutant.

—  Tu me demandes de visualiser mais... Visualiser quoi ?

  Ses épaules se redressent, son souffle se coupe et pendant un quart de seconde, je le pense mort, figé sur place et incapable de tout mouvement. Lorsqu'il fait demi-tour, enfouissant ses deux billes argentés face aux miennes, je n'arrive plus à voir la haine, ni même la colère. La simple chose visible demeure la peine, intense, immense et immortelle.

  Comme si avant la vie, elle prenait déjà place dans ce corps.

  Comme si après la mort, elle résiderait toujours.

—  Ce n'est qu'une question de volonté. Impreigne toi de ce qui t'entoure. Que ce soit le vent heurtant ta peau, le bruit du ruisseau, les feuilles des arbres virevoltant autour de nous, la chaleur du soleil réchauffant chacune de tes cellules. Tout ça... Tu dois le ressentir jusqu'à trouver lasource.

—  La Source ? je demande perplexe.

  Pour la première fois, Austin sourit. Un sourire léger, presque invisible, mais doté de cette innocence poignante et déchirante à la fois. Le sourire d'un adulte dont l'enfance aurait été volée.

—  C'est quelque chose d'encore plus fort. Quand tu l'auras trouvé, tu le sauras. Tu le sentiras partout, du bout de ton orteil jusqu'au sommet de ta tête, tu n'auras plus qu'une seule envie. Retrouver cette sensation. Une seconde, une minute, une heure, une journée, une semaine. Le temps d'une vie.

  À chaque mot sortant de sa bouche s'y mêle toutes sortes d'émotions. La plus fines d'entre elles me donnent envie d'accomplir la tâche qu'Austin attend de moi.

—  Ferme les yeux, m'ordonne-t-il tout en gardant cet air innocemment pur.

  Je souris brièvement avant de m'exécuter. Mon entraineur ne dit plus rien, restant en retrait à bonne distance si bien que je ne l'entends plus du tout. Cependant, je continue de me priver de la vue. Je veux réussir. Je veux prouver que je mérite ma place parmi toutes ses personnes aux facultés hors norme.

  J'ai besoin de comprendre ce qui m'a échappé pendant tant d'années, et cet exercice fait partie de ma quête de réponses.

Sans plus attendre, une douce voix s'immisce dans ma tête.

—  Je crois en toi.

  Je pense la rêver mais aussi dingue que cela puisse paraître, je sais qu'il s'agit d'Austin, quelque part à proximité de moi.

—  Allez Princesse, lâche tout ! Personne ne viendra t'interdire de ressentir aujourd'hui. Toutes les années de merde que tu as pu vivre en te sentant différente bien que parfaitement identique aux autres sur beaucoup de points, elles doivent te servir. Tire ta source de ce qui te fait te sentir en vie.

  Les années de merde. C'est quelque chose que je connais. Personne ne mérite de souffrir comme je l'ai vécu à seulement dix-huit ans. Personne ne mérite cette douleur qui ronge de l'intérieur.