Six

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  " Et voilà vos raviolis aux champignons. "

" Merci beaucoup. " je réponds après que la serveuse ait déposé mon assiette devant moi.

Harry et moi nous sommes arrêtés à un petit restaurant du centre ville – c'est convivial, plutôt familier, et on s'y sent rapidement à l'aise. Les couleurs sont à la fois chaudes et classiques. Les murs sont peints en beige cassé et ornés de tableaux et de décorations en tout genre, les tables sont vernies au bordeaux, et nous sommes assis sur des banquettes rouges et confortables.

Je prends ma fourchette et jette un coup d'œil au garçon installé en face de moi, qui me regarde curieusement et attentivement – comme si je venais d'une autre galaxie. C'est moi qui suis censé le regarder de cette façon. Mais je me contente de garder nerveusement les yeux sur mon assiette.

Il n'a rien commandé, et je me sens soudainement pudique. Il me stress à me regarder comme ça. 

" Tu es sûr que tu ne veux pas manger ? " je demande pour engager la conversation – pas très intéressant mais c'est déjà ça. Il sourit et secoue doucement la tête.

" Non, ne t'inquiètes pas pour moi. "

 J'ai pu voir que durant le trajet de la maison jusqu'ici, son air fatigué avait disparu. Il a retrouvé ses couleurs et ça me laisse perplexe. Mais je préfère ignorer plutôt que de me focaliser ridiculement sur ça, c'est déjà assez le bordel dans ma tête. Je regarde distraitement mes pâtes que je fais tourner avec ma fourchette pendant que Harry continue de me fixer, de contempler chacun de mes mouvements. Sentant peu à peu la gêne s'installer, je me redresse sur ma banquette pour retrouver mon assurance, et déglutis.

" Alors hum ... tu m'as dit que tu t'es fait émancipé à seize ans. Est-ce que ça t'arrive de le regretter ? Je veux dire, ce n'est pas difficile pour toi, de vivre seul ? "

" Non. En fait, c'est beaucoup mieux comme ça. " 

Ma curiosité est soudainement piquée. Je ne connais pas beaucoup de personnes qui partent de chez eux avant l'âge autorisé.

" C'est trop indiscret si je te demande pourquoi ? " je fais prudemment.

Au même instant, un client en polo vert, pantalon en flanelle gris et en mocassins entre dans le restaurant et salue la serveuse derrière son comptoir en levant son chapeau. Il doit avoir la soixantaine. La jeune femme lui sourit et je remarque qu'elle me jette des revers de regard curieux. Je cligne plusieurs fois des yeux et me reconcentre sur Harry.

Il sourit malicieusement en regardant un point vide à son côté, et se mord la lèvre inférieure. Puis lorsque je crois qu'il a trouvé ses mots, il baisse la tête – sans doute en direction de ses doigts noués –, et il fronce les sourcils, retrouvant son sérieux.

" Eh bien ... ma mère est décédée quand j'ai eu 16 ans. D'un cancer. "

Oh non ... J'aurais préféré entendre autre chose que ça. Et je ne sais pas vraiment quoi dire. C'est arrivé si récemment.

" Je suis désolé. " je fais d'une petite voix.

Il secoue brièvement la tête en relevant les yeux vers moi. 

" Ne le sois pas. " 

Oh ? 

" Mon père lui faisait vivre un cauchemar. Il était négligeant. Et il était hors de question que je continue de vivre avec lui. " 

En prononçant ces derniers mots, il a le regard distrait, et ses yeux verts deviennent soudainement ardoises. La haine. Une haine comme je n'en avais jamais vu s'exprimait entièrement à travers ses yeux malgré les traits de son visage qui ne présentent aucune expression.

Distress CallOù les histoires vivent. Découvrez maintenant