Dix-Sept

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Des frissons parcourant mon corps me sortent de mon sommeil. Doucement. Je sens le vent frais d'hiver me caresser le visage, et j'ouvre les yeux en prenant mon temps. Aveuglé par la lumière du jour, je cligne plusieurs fois des paupières, et je remarque que quelque chose a changé. Est-ce arrivé durant la nuit ? Ou est-ce parce que Harry n'est plus à mes côtés ? Je n'en sais rien. Mais ce dont je suis certain, c'est que l'air est différent. Pour la première fois depuis des semaines, je me réveille sans sursaut, sans hurlement, sans avoir en tête la dernière image horrifique d'un cauchemar. Je suis détendu, apaisé. Le ciel est clair et dégagé, survolé par des oiseaux migrants vers le Sud. Le souffle de la nature s'entend comme une mélodie caressant mon ouïe. Et je suis allongé sur ce balcon. Mon regard se pose sur le journal, soigneusement couché à mon côté. 
Il est juste là. A la place de Harry. Et il attend. Il attend que je le prenne en main et que je l'ouvre. J'inspire profondément et me redresse lentement, glissant en tailleur pour m'installer en face du cahier. Je le prends, et les coudes de part et d'autres de mes genoux, je le regarde distraitement, caressant sa couverture cuivreuse du bout des doigts. Et j'appréhende sans réellement me décourager. Le son de battements d'ailes me sort de mes pensées et quand je lève les yeux, j'aperçois deux pigeons blancs – l'un tacheté de marron, et l'autre de noir –, postés sur la barrière du balcon. Ils restent là un instant, à roucouler. Et je ne sais pas si c'est à cause de l'angoisse que je m'efforce de refouler de toutes mes forces ou la cause d'une recherche désespérée d'un courage surhumain, mais c'est comme si ces volatiles étaient là pour moi. Tel des petits anges gardiens. Ce qui est ridicule car dans ce genre de situation, ce sont des colombes qui seraient le plus appropriés. Mais il n'y a pas de colombes ici, alors ... 


" Oui. J'y arriverai. "


J'arrive juste à temps. A la sortie de la messe de ce dimanche matin. Je coupe le contact, sors de la voiture de mes parents et, les mains dans les poches de ma veste, je me fraie un chemin entre les fidèles de l'église sortant de celle-ci. Les cloches résonnent dans toute la paroisse, tel une alarme annonçant le calme avant la tempête, bien que cela signifie autre chose pour les habitants de cette ville. Mais pour moi, ça sonne comme ceci. Car le ciel a laissé ses premiers nuages gris apparaître. Une fois dans l'enceinte de l'église, j'observe distraitement autour de moi, cherchant le Père Linscott, mais je ne le vois nulle part. Je continue de marcher en prenant mon temps, et je m'installe sur un banc, derrière le premier rang. Ou plutôt, je m'agenouille. Les bras de part et d'autres du dossier du banc en face de moi, j'essaie de me détendre en inspirant profondément. 


Et j'observe la merveilleuse sculpture qui domine l'église toute entière. Le Christ sur sa Croix. L'autel couvert d'une nappe blanche et rouge, sur lequel sont déposés une coupe dans laquelle, j'imagine, on boit le « sang du Christ ». Puis à son côté, une soucoupe contenant sûrement ce que l'on appelle « le Corps du Christ », dédié à la communion. En voyant toutes ces magnifiques bougies, chandelles, et ces statues adorées, je me souviens brièvement des quelques cours de catéchisme que j'ai suivie quand j'avais sept ou huit ans, et qui n'ont pas duré plus d'une année. C'était, néanmoins, la volonté de ma mère – alors que moi, ça ne m'intéressait pas particulièrement. 


Mais je me rends compte que ça ne fait pas de mal d'avoir la foi faisant, plus ou moins, partie de sa vie. Nous en avons tous besoin, un jour, peu importe nos croyances ou nos réticences. Et aujourd'hui, j'en ai besoin. J'ai besoin de me dire, ou plutôt ... de savoir que je ne suis pas seul. Que chacun d'entre nous a réellement un ange-gardien à ses côtés. Et qu'il existe bien un espoir, une sursis, pour enfin se libérer d'une mauvaise emprise contre laquelle on se bat corps et âme, afin d'être libre. Je ne sais pas comment m'y prendre. Ce que je dois dire pour m'adresser à ... Lui, là-haut. Je n'ai jamais, vraiment prié de ma vie. J'ai peur de ne pas être à la hauteur. Mais c'est compréhensif, n'est-ce pas ? Quand on ne s'est jamais dévoué à une Divinité, si je peux dire. Comment faire pour se rattraper, si on le doit ? Le Seigneur pardonne toujours. Il suffit d'avoir foi en ce que l'on pense et d'être sincère avec soi-même.Les paroles du prêtre défilent dans ma tête comme une étreinte rassurante.

Distress CallOù les histoires vivent. Découvrez maintenant