Dix-neuf

677 48 9
                                        

" Par ici ! J'ai trouvé une ouverture ! "
Une voix qui m'est inconnue, et ferme, emplie d'une détresse et d'une impatience incontrôlée.
Il y a quelqu'un.
" Envoyez des renforts ! "
Des bruits de pas se précipitant aux alentours.
Ils nous ont trouvés.
" A trois, on enfonce ! Un, deux, trois ! "
Quelque chose se brise bruyamment, avec une violence extrême. Et l'obscurité laisse place à une lumière aveuglante, mais qui me semble si loin et inatteignable. Il m'est impossible de savoir si je suis éveillé ou si ce n'est qu'un rêve.
Je n'arrive pas à ouvrir les yeux.
Je me sens soudainement léviter. Emporté par une emprise, dans le vent. C'est si léger. Si doux. C'est agréable. Je voudrais presque ne jamais me séparer de cette sensation. Tout me semble paisible. Facile. J'ai perdu toute notion du temps et de l'espace. Et mon esprit est en train de voler. Je peux le sentir. Il vole vers d'autres horizons dont j'ignorais totalement l'existence. Je n'ai plus froid. Ma plaie à l'épaule a disparue. Je ne suis plus tari de sang. Et je tiens sur mes deux jambes. Je ne me suis jamais senti aussi entier, aussi vivant. Pourtant, je ne sais pas ce qu'il m'arrive. Je regarde autour de moi. Il fait sombre, et je suis seul. Où est Harry ? Seul ... mais plus très longtemps. Car devant moi, apparaît une lueur blanche, qui s'agrandit, s'élargit, et se rapproche de moi, de plus en plus vite. Elle aveugle ma vision, et j'ai à peine le temps de cligner des yeux que cette lumière chasse l'obscurité et l'étendu d'une nouvelle aire s'offre à moi.
Je me retrouve au milieu d'un champs. Un merveilleux champs dont l'herbe verte et aussi claire que la clarté du ciel, me chatouille la plante des pieds. Et une douce brise souffle sur mon visage. Comment suis-je arrivé ici ? Comment est-ce possible ? Je ne comprends pas, et je suis confus. Mais je n'ai pas peur. Au contraire, je me sens parfaitement bien, et en sécurité. Alors que je suis émerveillé par tant de beauté irréelle qui m'entoure, une silhouette attire mon attention au loin, devant moi. Elle s'approche de moi, pas à pas, lentement, à travers ce champs vaste et sans fin. Je fronce les sourcils en l'observant avec insistance. Et plus elle s'approche, plus je sens mon cœur chaud dans ma poitrine, battre à toute allure. Sous les rayons intenses du soleil, j'arrive à distinguer son visage. Et je me rends compte que ce visage m'est entièrement familier. C'est ...
Grand-mère ?
Et comme si elle avait entendue mes pensées, un sourire affectueux se dessine sur ses lèvres. Vêtue d'une longue robe blanche cachant ses pieds et d'un voile transparent qui la recouvre, je ne l'ai jamais vu aussi merveilleuse. Ses cheveux gris étincelles sous la lumière du soleil. Elle est magnifique. Jeune et emplie de couleur. Et surtout, plus vivante que jamais. Elle s'arrête devant moi, et son sourire s'agrandit quand elle me déshabille du regard. Je la vois expirer de bonheur. 
" Regarde-toi. Tu es presque devenu un homme. "
Je souris timidement en baissant les yeux. Mais elle me prend par surprise en remontant tendrement mon menton, plantant ses prunelles brunes, brillantes de mille feux, dans les miennes. 
" Tu dois apprendre à accepter ce qu'il y a de bon en toi, Louis. Ne laisse pas le passé te ronger de l'intérieur. Rends-toi compte de ce que tu as accompli jusqu'ici. "
Ma réaction ne se fait pas attendre, et mon cœur a un raté.
" Tu es beaucoup plus fort que tu ne le penses. Tu es intelligent. Et tu es d'une bravoure indéniable. Tu n'en as peut-être pas encore conscience, mais tu es capable de faire des choses extraordinaires. Ne le vois-tu pas ? Tu as risqué ta vie, pour celle d'un autre être. "
Extraordinaires ? Elle parle comme si j'étais un miracle tombé du ciel, ou comme si ... j'allais accomplir de grandes choses plus tard, alors que ... tout est flou dans ma tête, et ... je ne comprends toujours pas ce que je fais ici. La dernière chose dont je me souviens, est la sensation d'un tremblement de terre au-dessus de ma tête, et le toucher de la main de Harry, avant ... avant de tomber dans un trou noir. Oh non. Est-ce que ça veut dire que ... 
" Et maintenant ? C'est terminé, n'est-ce pas ? " je regarde nerveusement et brièvement autour de moi avant de me reconcentrer sur ma grand-mère, impassible. " Je suis mort ? " Elle incline la tête de côté sans effacer son sourire. " Ta destinée vient à peine de commencer à s'écrire, Louis. "
" Ma destinée ? " je répète d'une voix à peine audible.
" Tu dois comprendre que tu es différent. Unique. Et quand tu le réaliseras, tu auras peur. Mais il y a une chose dont tu ne devras pas être effrayé. C'est d'écouter ton cœur. "
Je fronce les sourcils, pris de court. De quoi parle-t-elle ? C'est ridicule et je ne comprends pas, bordel. 
" Pourquoi dis-tu ça ? En quoi suis-je différent ? " " Tu n'en as même pas une petite idée ? " dit-elle en levant les sourcils d'un air désolé.
Malheureusement, je secoue la tête, confus.
" Souviens-toi de tes rêves ... et de tes cauchemars. De toutes ces choses que tu es capable de sentir sans les voir. "
Pourquoi dit-elle ça ? Devrais-je me souvenir de quelque chose qui puisse me mettre sur la voie ? Si c'est le cas, rien ne me vient à l'esprit. A part ... cette vision où je l'ai rencontré près du lac. Et la première fois où j'ai mis les pieds dans cette maison, et que j'ai senti cette présence. Puis ... Oh mon Dieu. Sans savoir de quelle façon ce souvenir tellement lointain me revient en mémoire, je réalise enfin, du moins ... je me souviens enfin, comment, il y a deux ans, j'ai su que la cafétéria de mon ancien lycée allait exploser. Et ma respiration se coupe brièvement sous cette illumination. 
" C'était toi ? " je dis dans un souffle. " C'est toi qui m'a prévenu pour cette fuite de gaz dans le réfectoire de mon école, il y a deux ans ? "
Son sourire s'agrandit humblement, et ses yeux se mettent subitement à briller encore plus qu'ils ne le faisaient déjà. Je n'arrive pas à y croire ... Mais comment ? 
" Je ne vous ai jamais complètement quitté, Louis. " répond-elle à ma question silencieuse. " J'ai toujours été là pour veiller sur vous. Dans vos rêves les plus profonds. En particulier dans les tiens. " " Pourquoi moi ? " " Pour t'aider à te préparer à chaque jour, qui s'approchait de celui-ci. " " Me préparer à quoi ? Grand-mère, je ne comprends pas, je ... je suis complètement perdu. Est-ce que ça pourrait expliquer tout ce qu'il m'est arrivé jusqu'à aujourd'hui ? Est-ce que ça expliquerait, pourquoi j'ai été choisi ? Pourquoi j'ai dû vivre tout ce cauchemar ? " je suis tellement rongé par l'incompréhension et l'ignorance, que j'ai du mal à contenir ma nervosité. 
Et cette fois, ce sentiment de sérénité que j'ai ressenti quelques instants plus tôt, a complètement disparu. Quelque chose est en train de se briser en moi. Et j'ai mal. Je n'arrive pas à mettre de mots là-dessus. Grand-mère s'approche et pose délicatement sa main sur ma joue, pour me la caresser tendrement. Mais elle me semble tout à coup, si loin de moi. Comme si je m'éloignais, peu à peu. 
" Laisse-lui seulement un peu de temps. Et je t'en prie, ne soit pas trop dur. Pardonne-lui ses erreurs du passé. " " Mais à qui ? Qu'est-ce qu- Haaaaargh ! "
Une décharge brutale et brûlante me parcourt brièvement, mais d'une telle violence que j'ai eu le temps de sentir chaque partie de mon corps s'électrifier comme jamais. Au point que mon cœur se compresse violemment et douloureusement. Et ça fait tellement mal que je sens mes jambes m'abandonner. Je tombe sur l'un de mes genoux et, la main au niveau de mon cœur aux palpitations frénétiques, j'essaie de contrôler ma respiration. Mais ça n'a jamais été aussi difficile. C'est presque comme si quelque chose m'en empêchait et que je suis sur le point de m'asphyxier. J'ai l'impression de tomber dans le vide, et je serre dans mon autre main une poignée d'herbe, comme si ma vie en dépendait. Bordel, qu'est-ce qu'il m'arrive ? Et tout à coup, dans un écho déchirant et empli de sanglots, j'entends une voix familière prononcer mon prénom, au milieu d'autres qui s'en mêlent. 
« Louis, mon bébé, reviens, s'il te plaît ! »
Maman.
« Aucune réponse. » « On recharge ! »
Des médecins. Je suis encore frappé par cette foudre violente qui me tord le cœur et je me sens tomber encore plus bas. 
" Aargh ! Qu'est-ce que c'est ?! " je m'écrie. " Ils sont en train de te ramener. " répond grand-mère.
Et sous mes yeux, dans un flash aveuglant me frappant soudainement, à travers un halo nuageux de lumière blanche, je me vois, dans une ambulance, allongé sur une civière, le corps inerte, un masque à oxygène sur le visage, des électrodes disposés sur ma poitrine ensanglantée, un garrot autour de mon épaule gauche blessée, des fils et des machines qui m'entourent, et trois médecins au-dessus de ma tête. « On recharge ! » L'un d'eux recharge le défibrillateur avant de le reposer sur ma poitrine, et ... « Une, deux, trois, dégagez ! »
" Aaargh ! " je sens à nouveau cette violente décharge qui compresse douloureusement mon cœur. Je réalise que je ne suis pas en train de tomber. Je suis juste aspirer par mon propre corps qui me rappelle. Et la lumière du soleil et de la clarté du ciel gagne en luminosité. C'est tellement intense que ... que j'ai l'impression de voir ma grand-mère s'éloigner peu à peu de moi, bien qu'elle reste immobile.
" Ne résiste pas, Louis. Tu dois repartir. Ce n'est pas ton heure. " dit-elle. " Attends, mais j'ai encore des tas de questions à te poser ! Tant de choses à te dire ! " je suis obligé de hausser la voix, parce que ce n'est pas une impression. La lumière l'absorbe réellement, et je ne vois plus rien. 
Le champs autour de nous a disparu. J'essaie de me déplacer, de m'avancer vers elle, mais en vain. Seule sa silhouette angélique qui s'apprête à me faire volte-face pour se laisser emporter par cette luminosité céleste, demeure devant moi, s'éloignant toujours un peu plus. Et elle me sourit, de ce sourire rassurant que je n'avais pas vu depuis trois longues années, et qui me réchauffait toujours le cœur, comme maintenant. 
" Ne t'inquiète pas, mon petit. On aura des tas d'occasions de se voir et de se parler. Et toutes les réponses à tes questions, tu les trouveras en toi. Je te guiderai dans ton cœur, et dans tes rêves." " Grand-mère ! " elle s'éloigne encore, et je n'arrive pas à l'atteindre. J'ai envie de tendre le bras vers elle, mais je suis paralysé. 
Je ne distingue plus que ses yeux bruns qui brillent à mon attention.
" Et n'oublies jamais. N'aie pas peur de suivre ton instinct. " " Attends, grand-mère ! " je hurle dans un ultime écho.
Et à l'instant où elle disparaît dans ce vent de lumière aveuglante, je suis entièrement aspiré par une dernière décharge foudroyante.
La sérénité d'or et l'atmosphère pacifique laisse violemment place au son assourdissant des gyrophares, et des signaux constants et réguliers de l'électrocardiogramme qui retentissent quand mon cœur se remet à battre. Et mon corps a une réaction instantanée à ce retour à la réalité si brutal. Je crache mes poumons du goût du monoxyde de carbone qui me reste encore dans la gorge en retirant immédiatement le masque à oxygène. Alors que le médecin essaie de me tenir en place, j'entends un soupire de soulagement à mon côté. 
" Oh, Louis, mon chéri ! Oh, merci Seigneur. " 
Maman. Mais je ne peux lui répondre car j'ai besoin de plusieurs secondes pour ouvrir les yeux et me sentir à nouveau connecté à la réalité.
Quand je les ouvre enfin, la première chose qui m'aveugle est la lumière de la lampe avec laquelle le médecin examine mon regard. Mais je ne lui en laisse pas le temps et détourne la tête. J'ai du mal à recouvrir mes esprits. Je crois que je suis sous le choc. J'ai la tête qui tourne. Et la vitesse à laquelle circule l'ambulance ne m'arrange rien. Cette fois, j'ai l'impression de faire, réellement, une chute dans le vide. 
" Louis, Louis, ça va aller. Nous sommes là, tout va bien. " souffle maman qui se jette sur moi, et me maintenant le bras pour m'aider à tenir en place en me caressant les cheveux. 
Son regard me guette avec inquiétude et soulagement tandis que papa, se tenant derrière elle, me sourit avec les mêmes émotions inscrites sur son visage. Et c'est quand le véhicule passe sur un dodane et qu'il se secoue brièvement que je réalise que je suis bien en vie, en sentant mon épaule blessée me lancer. Je grimace en inclinant la tête en arrière.
" Reste tranquille, fiston. Les médecins s'occupent de toi. " j'entends papa qui s'efforce de ravaler ses sanglots.
Mais j'ai encore du mal à me concentrer sur ce qui m'entoure et ce qu'il se passe. J'ai mal partout, et je ne peux bouger mes deux jambes. Alors que je ne ressentais aucune douleur à leur niveau, c'est en y pensant que ma jambe gauche m'est gravement douloureuse. C'est exactement la même douleur que la première fois où l'on me l'a remise en place. 
" Où en est la seconde victime ? " demande soudainement le médecin. " La victime est dans un coma niveau 2. Aucune réaction aux stimuli douloureux. " répond un second infirmier à notre côté. " Mais l'on a une insuffisance respiratoire. Le pouls est vraiment très faible. " " Maintenez-le aussi longtemps que vous le pouvez. S'il tombe au stade 3, on le perdra avant d'arriver sur place. "
Harry. Et c'est à cette pensée que je retrouve, définitivement, mon esprit dans la réalité. Et la chute est violente. Mon cœur ne le supporte pas, et se brise en un millier de morceaux. Je crois que je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. Tout cet enfer que j'ai dû traverser, n'est rien comparé à ce que j'ai sous les yeux. Son corps blafard est allongé là, sur une civière, juste à mon côté. Ne pouvant faire aucun mouvement sous l'ordre du médecin, je ne fais que le regarder, sa vie, son petit cœur que je vois battre très faiblement ... à peine régulièrement, à travers l'électrocardiogramme se trouvant derrière lui, maintenu par une assistance respiratoire manuelle – le médecin ne cesse d'appuyer sur la balle bleue de l'appareil qui envoie de l'air dans le tube inséré dans sa bouche. Du peu que je vois derrière les médecins, son visage est déjà celui d'un cadavre. La peau sur les os, ses boucles longues qui retombent presque sur ses épaules, et une barbe de plusieurs centimètres qui recouvre la moitié de son visage. C'est à peine si je peux le reconnaître. Mais il est bien là. Toujours en vie. Du moins ... à chaque signal de l'électrocardiogramme qui menace toujours de s'arrêter à tout moment, montre qu'il reste encore une once de vie en lui. J'observe chaque montée de la ligne verte de l'écran de la machine avec insistance, le cœur battant à mille, et qui a un raté douloureux à chaque fois qu'un lapsus d'une seconde et demie est obligé de passer pour voir un autre signal arriver. J'ai même envie de pleurer, mais je ne le fais pas. Parce que je sais qu'il tiendra le coup. Il est fort. Il l'a toujours été jusqu'ici. Ce n'est pas maintenant qu'il va se défiler. Tu peux tenir le coup, Harry. Fais-le, je t'en prie.
Mais l'ironie de la situation me rattrape soudainement – trop brutalement. Le son criard d'un signal perpétuel et déchirant envahi l'habitacle de l'ambulance. Non !
" On le perd. " s'écrie un infirmier. " Défibrilez-le, tout de suite. " ordonne le médecin. " Harry ... ? " ma réaction est immédiate, bien que je peux à peine redresser la tête et parler, sous le choc. " Louis, rallonge-toi, ils s'occupent de lui. " dit maman, aussi inquiète mais pas plus que moi.
Non. Non, je ne peux pas rester tranquille. Mon cœur bat la chamade, se serre, se déchire parce que la personne que j'aime est en train de mourir. Non, non, non ! Je t'en prie, ne me fais pas ça. J'ai envie de hurler, de le supplier, mais chaque coup de décharge qui lui est attribué me tétanise de frayeur. Soit la ligne verte de l'électrocardiogramme nous renvoie des signes de vie, soit elle reste inerte, immortalisant ce son tortueux à travers elle. Son corps a beau se soulever plusieurs fois sous le défibrillateur, aucun résultat parvient. Mais les trois médecins luttent jusqu'au bout. L'un continuant d'insérer de l'air dans les poumons de Harry, l'autre le défibrilant, et le dernier maintenant la minerve autour de son cou afin que sa nuque ne se brise pas. Et mon cœur bat tellement vite que j'ai l'impression qu'il s'apprête à surgir de ma gorge, d'un instant à l'autre.
Les secondes passent et Harry ne montre toujours aucun signe de vie. La sueur grimpe et l'angoisse est de plus en plus intense. A moitié allongé sur ma civière, je serre le draps du matelas dans mes poings, la respiration courte. Je crois que je vais craquer. Ne me laisse pas.
Et la chose la plus horrible que je redoutais depuis le commencement arrive. 
" C'est fini. " dit le médecin, essoufflé. Après un combat acharné, les médecins décident d'en rester là, de le laisser succomber à sa fin. Non. Mais pour moi, c'est hors de question. 
" Non. Non, non ! Harry ! " je hurle à m'en déchirer la voix.
Et alors que je me bats contre mon épaule et ma jambe pour me redresser, mes parents et le médecin essaie de me garder en place.
" Mon petit, s'il te plaît, reste tranquille. " " Louis ! " " Non, non, il ne peut pas mourir ! Il n'a pas le droit ! " et les larmes coulent sur mes joues. Je craque et arrache les électrodes de ma poitrine.
 Et bien que j'ai terriblement mal à mes blessures, je ne cède pas. 
" Harry ! "
Je suis intenable. Je sens le médecin utiliser toutes ses forces pour me rallonger, mais rien y fait. Je suis complètement hystérique. J'ai envie de frapper tout le monde, de hurler, de tout casser, car la seule chose que je veux, c'est de tenir la main du garçon que j'aime pour le retenir. 
" Dr. Valez, faites-lui une injection de sédatif ! " " Louis, s'il te plaît ! " s'écrie maman. 
Non, je ne veux pas ! Et je pousse, encore et encore. J'arrive à libérer mon bras, et je le tends vers la civière de Harry. Vers son bras. Vers sa main. Sa main ... Je la veux dans la mienne. Et en me battant un peu plus contre l'étreinte du médecin et de l'aiguille qui s'apprête à être plantée dans mes veines, je l'attrape enfin. Je la serre délicatement dans ma main. Il est glacé, et je ne sens quasiment que des os. Mais je sais qu'il est fort. Je sais qu'il est assez fort pour revenir. 
" Reviens, je t'en prie. " je le supplie dans un souffle, épuisé par toutes les émotions qui m'envahissent d'un seul coup. 
Les larmes continuent de couler sur mes joues, mais je ne pleure pas. Je n'en trouve pas la force. Et je serre sa main dans la mienne, sans le quitter des yeux. Il ne répond pas à mon étreinte. Il ne bouge pas. Il est totalement stoïque. Telle une statue de marbre. Et j'ai envie de crier de toutes mes forces, mais mon cœur meurtri et la boule immense coincée dans ma gorge m'en empêchent. 
" Ne m'abandonne pas, Harry. Ne me laisse pas seul, ici. S'il te plaît. " je dis dans un dernier souffle désespéré.
Et alors que les secondes passent et qu'il semble emporter mes derniers espoirs et mon être tout entier avec lui, le son infernal de la machine laisse place à des « bip » se faisant entendre, de plus en plus incessamment. Oh mon Dieu. 
" Docteur ! " appelle un infirmier.
Les signaux de l'électrocardiogramme passent à une régularité plus rapide, et à un son plus clair, que la première fois. Son cœur rebat.
" C'est impossible ... " souffle le médecin, effaré devant l'écran de l'appareil.
Non. C'est un miracle.
" Très bien, hum ... Maintenez son rythme cardiaque, nous arrivons dans moins de trois minutes." reprend le médecin, étourdi, mais soulagé.
Et en sentant la vie l'aspirer à nouveau, à travers sa main que je ne quitte pas, mon cœur rassemble ses morceaux brisés, et se remet à battre dans un halo de bonheur, d'espoir, et d'un amour inconditionnel. Et à cet instant, j'ai l'impression d'avoir à mon côté, l'âme de l'orbe que Saint Jude enveloppe de son étreinte. L'âme qu'il a protégée depuis le commencement, et qu'il n'a jamais quittée. Et je n'ai aucun mot pour décrire ce que je ressens en ce moment, tant je suis heureux. Un sourire dédié à cet ange – un ange tombé du ciel et aux ailes rares et précieuses – , se dessine faiblement sur mon visage, avant que je ne me laisse succomber au doux et paisible sommeil dans lequel me plonge le sédatif injecté dans mes veines.
Son cœur bat toujours.
**« Toutes les réponses à tes questions, tu les trouveras en toi. Je te guiderai dans ton cœur, et dans tes rêves. »
* Présent *
Aujourd'hui, nous sommes le 24 décembre. Nous fêtons le réveillon de Noël. Mais ce soir, pour moi, c'est bien plus que Noël. C'est aussi mon anniversaire. Nous sommes dans le grand salon de notre maison, avec maman, papa, tante Sarah, et grand-mère. Maman a préparé un gâteau au chocolat et à la chantilly avec des pépites de bonbons multicolores par-dessus – mon préféré–, sur lequel j'ai soufflé mes huit bougies. Ensuite, on a ouvert mes cadeaux sous le sapin. Papa m'a offert mon tout premier ballon de football, et mes premiers crampons. Celles que j'avais repérées dans notre magasin de sport préféré. La balle brille sous l'embrasement des flammes de la cheminée, et de la lumière des guirlandes du grand arbre de Noël. Elle est magnifique, et j'adore mes chaussures. Maman et tante Sarah ont récoltées leurs économies pour m'offrir l'avion télécommandé que j'ai tant désiré tout le long de l'année. Et je ne peux pas résister, je demande à mes parents si je peux sortir pour jouer avec, sans prendre le temps d'ouvrir les autres cadeaux. Ils rient et acquiescent, et je veux que grand-mère vienne avec moi. Et après avoir déballer le carton, nous enfilons nos manteaux d'hiver, notre écharpe, nos bonnets et nos gants.
Nous sommes à l'extérieur depuis dix bonnes minutes, et la neige commence à tomber. Je suis heureux. L'avion survole la grande cour de notre pavillon, dans tous les sens. Et grand-mère aussi est heureuse. Elle rit avec moi. De temps en temps, j'arrête de m'amuser avec mon nouveau jouet pour faire une bataille de boules de neige avec elle. J'ignore combien de temps passe, mais l'on s'en fiche. Nous sommes bien, ici, rien que tous les deux. Ma grand-mère a beau prendre de l'âge, elle est toujours aussi forte, drôle et pleine de vie. Et elle court plus vite que moi. Elle est une guerrière. Ma guerrière. L'héroïne qui m'inspire plus que quiconque sur cette Terre. Elle ne m'a pas offert de cadeaux, mais je ne lui en veux pas. Je n'ai pas l'occasion de la voir, très souvent. Alors mon plus beau cadeau, c'est sa présence. Mais après un dernier tour d'avion télécommandé, elle pose délicatement sa main derrière mon dos, et je la regarde. J'ignore ce qu'elle fixe devant elle, mais ça la fait sourire. Elle baisse son regard vers moi, sans s'arrêter de sourire. 
" Ton cadeau est arrivé. " me dit-elle. " Viens avec moi. " 
Alors j'ai un cadeau ? Je fais atterrir l'avion au sol, à nos pieds, et je pose la télécommande à son côté. Puis nous marchons le long de la cour, sous la neige, ma grand-mère ayant un bras autour de mes épaules. Je lui jette un coup d'œil, et elle continue de me sourire en inclinant la tête de côté, comme pour me rassurer. Alors je lui fais confiance. Je lui fais toujours confiance. J'entends subitement les notes d'une musique flotter dans l'air, et je vois un homme – vêtue d'une redingote noire, de bottes en cuir, et d'un long foulard rouge –, qui se tient debout au bord de la route, en train de jouer du violon. C'est joli. Nous nous arrêtons devant lui, et nous l'écoutons terminer de jouer. Il ferme les yeux comme s'il était endormi sur son instrument. Mais il semble si passionné. Ses doigts se baladant délicatement sur les cordes, et son archet qui les grattent avec tendresse. Je reconnais cette musique. « Douce Nuit ». C'est ma chanson de Noël préférée. Et grand-mère et moi l'écoutons avec admiration, silencieusement, émerveillés par ce talent ensorcelant. Quand je tourne instinctivement la tête, je vois maman à travers la fenêtre de la maison, qui a tiré le rideau du salon et qui nous regarde. Je lui souris mais elle ne semble pas me remarquer. Elle a l'air même préoccupée. Alors je lui fais un signe de la main, et c'est là qu'elle me voit. Elle sourit, toutefois, son sourire n'atteint pas ses yeux. Son expression est à la fois dure et ironique. On dirait que quelque chose vient de l'énerver. Et quand elle quitte la fenêtre en laissant tomber sèchement le rideau, je contemple à nouveau cet homme aux doigts magiques.
Il termine de jouer et ouvre enfin les yeux. Et quand il nous voit, il semble surprit. Je regarde ma grand-mère, elle lui sourit affectueusement en hochant la tête, avant de baisser brièvement les yeux vers moi. Puis c'est sur moi, que toute l'attention du musicien est porté. Ses iris brunes brillent de mille feux, comme s'il apercevait un ange tombé du ciel. Il place son archet sous son bras, et lève sa main libre vers le ciel, devant lui, laissant les flocons atterrir dans sa paume. Et il se baisse pour se trouver à mon niveau, en me tendant sa main. 
" Chaque flocon de neige se ressemble. Mais l'on dit qu'en regardant de plus près, ils ont tous quelque chose de différents. D'unique. " il m'explique d'une voix douce.
 Quand j'observe dans sa main le flocon de neige gelé qui repose sur sa paume, je suis émerveillé par tant de beauté. Waouh ! Je n'en avais jamais vu d'aussi près. Et encore de ce genre. N'est-il pas censé fondre ? C'est magique ! Je suis tellement ébahi que j'ai la bouche grande ouverte en un sourire. 
" Tends-moi tes mains. " demande-t-il. 
Sans réfléchir, je joins mes mains, paumes vers le ciel, et il laisse tomber le flocon de neige sur mes gants. 
" Et toi, tu es comme ce flocon. " souffle-t-il. " Tu es unique. Spécial. Ne laisse jamais personne te faire croire le contraire et te juger. "
Je plonge mes prunelles dans les siennes, mon sourire s'agrandit et je hoche la tête sans savoir s'il s'agit d'une promesse. Il me rend mon sourire et se lève à nouveau pour reprendre son archet et jouer une nouvelle mélodie, pendant que grand-mère et moi faisons volte-face pour rentrer à la maison, le flocon entre mes mains.

Distress CallOù les histoires vivent. Découvrez maintenant