Epilogue

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Brighton. Une chaleureuse bourgade ensoleillée du Sussex de l'Est, située dans le sud-ouest du pays – à plus de trois cents kilomètres de chez mes grand-parents. Qui aurait cru qu'un jour, je me retrouverai dans l'une de ces grandes villes à l'apparence bourgeoise, alors que je pensais finir le reste de ma vie dans un trou perdu au fin fond de l'Angleterre. Il m'a fallu plusieurs semaines pour organiser mon emménagement, ici – ce qui n'était pas simple à distance, mais une attente incontestablement patiente et une détermination qui en valaient la peine.


Car après l'obtention de mon diplôme, j'ai pris mes dispositions pour récolter l'argent nécessaire afin d'assouvir mes projets, en servant dans l'un des restaurants de Doncaster, durant plusieurs mois, tout en enchaînant d'autres petits boulots. Ce n'était pas grand-chose. Mais le temps que j'y ai passé était bien assez pour couvrir les crédits que j'ai dû débiter dans l'argent réservé à mes études pour mon déménagement. C'est bien pour cela que je n'ai suivis aucune formation ou quelconque enseignement après le lycée. Je n'avais pas l'intention de rester dans ma ville natale. Tout simplement parce que, durant tout ce temps, je n'attendais qu'une seule chose. Un appel de l'hôpital de Newhall. Cet appel qui m'annoncerait enfin, que Harry était en parfaite santé et était libre de quitter l'institut.
Ce qui est finalement arrivé, il y a cinq mois de cela, à mon plus grand bonheur pertinemment patient. Mais alors que je pensais lui rendre visite le jour de sa sortie, j'ai appris que l'un des membres de sa famille – la seule famille maternelle qui lui restait –, est venu le récupérer et tous deux, ont quittés la région. Et j'ai deviné qu'il s'agissait sûrement, de la sœur de sa mère. Mais sans savoir l'identité de celle-ci, il m'était impossible de repérer leur localisation géographique – pas même le nom d'une ville ou un code postal. Ce qui m'a contraint de harceler le personnel de l'hôpital de Newhall par téléphone, pour qu'il me donne un simple nom. 


Mais évidemment, l'éthique professionnelle le leur interdisait. Alors j'ai dû me tourner vers la seule personne capable de me passer ce genre d'information et sur qui je pouvais compter. Niall. Cet ami loyal qui a réussi à couvrir ce qui s'était réellement passé dans cette maison que j'ai réduite en cendres, en comptant à son père que l'explosion était due à une simple fuite de gaz et qu'avant cela, j'ai flairé une odeur étrange dans le grenier–––suivant ma découverte de cette pièce secrète dans laquelle se trouvait le corps inerte de Harold, et où j'ai à peine eu le temps de me glisser avant l'explosion. Et par chance, cette dernière a été tellement rude que toutes les preuves de mon implication dans sa destruction, ont été consumées par les ruines.


Aujourd'hui, je lui suis toujours reconnaissant pour tout ce qu'il a fait. Je ne le remercierai jamais assez. Et c'est parce que j'ai eu la chance d'avoir rencontré un ami tel que lui, qu'il a accepté de me venir à nouveau en aide, malgré la distance qui nous sépare – en demandant à son père d'interroger l'administration de l'hôpital afin d'obtenir le nom de la tante de Harry, qui s'avérait être une certaine Sullivan. Naomi Sullivan.
Et rien qu'avec ce nom, elle pouvait résider dans dix états différents dans toute l'Angleterre, d'après le moteur de recherches d'identités sur internet. Il m'a fallu deux mois entiers pour toutes les appeler, une à une, avant de tomber enfin, sur la bonne. Je m'en souviens comme si c'était hier.


2 mois plus tôt


C'est un début de soirée. Je suis installé dans ma chambre, à mon bureau–––ma lampe de chevet étant ma seule source d'éclairage. Il doit être huit heures, huit heures et demie du soir. Et pourtant, je suis épuisé et mes paupières commencent à m'abandonner. Mais il ne reste qu'une quinzaine de noms sur la liste, parmi les deux cents quatre-vingts « Naomi Sullivan » que j'ai trouvées. Je peux tout de même les faire en une trentaine de minutes, n'est-ce pas ? Alors en avalant une gorgée de mon Cola posté à côté de mes paperasses, je me donne une claque afin de rester éveillé. Et aussitôt, je m'empresse de composer les numéros de téléphones suivants.


Quatre « Naomi Sullivan » en moins sur la liste, dont deux sur lesquelles je n'ai cessé de tomber sur le répondeur.
Je ne tarde pas à me dire que je ne vais pas tenir le coup pendant qu'un mal de crâne commence à me prendre. Mais la volonté de les retrouver tous les deux me donne le courage de taper le numéro suivant.


" Allô ? " une voix qui m'est étrangement familièrement douce et rassurante me répond, instantanément.
" Bonsoir. Puis-je parler à Naomi Sullivan, s'il vous plaît ? " je continue dans un marmonnement.
" C'est elle-même, que puis-je faire pour vous ? "
" Mon nom est Louis Tomlinson et je vous appelle depuis Doncaster. Je voulais savoir si vous connaissiez un certain ... Harry Styles ? "
Un court silence s'installe à travers le combiné. Et dans une hésitation prudente, la jeune femme reprend.
" Euh ... oui. C'est mon neveu. Pourquoi cette question ? "
Et à cet instant, mon cœur a le raté le plus violent qu'il n'a jamais connu. Je ne peux y croire. Après des semaines de coups de fil acharnés pour enfin entendre ces quelques mots, voilà que je me trouve un peu plus près du but. Enfin. Je ne sais combien de temps je reste silencieux tant je suis sous le choc – ce n'est qu'un rêve, n'est-ce pas ? Je suis sûrement en train de dormir éveillé. Mais la voix de Naomi qui reprend soudainement me fait réaliser que cela est réellement en train de se passer.
" Allô ? Vous êtes toujours là ? "
" Oui, euh ... Je ... " il me faut un certain temps pour retrouver mes mots.
Je prends le temps fermer les yeux pour mon concentrer en inspirant profondément, avant de reprendre. " Je suis un acien ami de Harry, qui ... lui rendait visite pendant son séjour à l'hôpital. Il y a quelques temps, j'ai appris qu'il en est sorti et ... qu'il a quitté Newhall pour vivre avec vous. " je m'arrête un instant pour reprendre mon souffle. " Pardonnez-moi si je peux paraître direct, mais j'aimerais savoir ... dans quel région du pays, vous vous situez. "
Un silence frustrant est revenu, et à cet instant, je m'attends à ce qu'elle prenne peur et me raccroche au nez. Et pour m'assurer que ce ne sois pas le cas, je rajoute d'une voix hésitante. " Toutefois ... si vous me permettez de vous le demander, bien sûr. "
" C'est-à-dire que ... " un nouveau court silence passe, et une appréhension alarmante s'empare subitement, de moi. " ... Harol - je veux dire ... Harry, a vécues deux années très perturbantes pour sa santé psychologique. Et même s'il est sorti de son coma, il y a deux mois, il a encore besoin de temps ... pour se remettre. "
" Oui, je comprends. "
" Pour ne rien vous cacher, il ... " elle s'arrête pour reprendre doucement son souffle. Que se passe-t-il ? " ... il a du mal à remettre ... tout ce qui lui est arrivé avant son réveil, en mémoire. Il se pose encore des tas de questions. " m'avoue-t-elle dans un souffle à peine audible.


Et ce à quoi je me suis préparé depuis la promesse que je lui ai faite, ce soir-là – que je ne renoncerai pas à lui –, est en train de se produire. Je n'ai pas réalisé à quel point cela pouvait être blessant à entendre. Intérieurement dévasté, il faut que je rassemble toutes mes forces pour ne pas laisser échapper un soupir désemparé. Je me mords les lèvres tellement fort que j'en ai mal. Et dans un dégluti nerveux, je reprends, en espérant que l'once d'une lueur d'espoir se manifeste. 


" Hum ... En clair, vous voulez dire que ... " ma voix stoppe instantanément sous un déraillement, les mots s'étant bloqués dans ma gorge. Aussi insupportable que la vérité soit-elle, je me sens incapable d'y faire face. Mais maintenant que j'y suis,, je ne peux plus reculer. Après tout, c'était ce que je cherchais. " ... qu'il y a des chances qu'il ne souvienne pas ... de moi ? "
" C'est ça. " affirme-t-elle.


Cette nouvelle est comme écraser mon âme entre deux portes, et passer mon cœur dans une broyeuse. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi ... seul, qu'à cet instant. Comment peut-on se sentir lorsque la personne que vous aimez le plus au monde, vous a entièrement oublié ? Et pas seulement votre existence, mais vos souvenirs entiers. J'ai la tête qui tourne et je suis tenté de raccrocher. J'ai l'impression d'être carrément tombé à six pieds sous terre. Mais je pense que si je ne m'étais pas rapidement souvenu de la raison de mon appel, c'était ce que j'aurais fait.


J'inspire profondément en me passant une main sur le visage. " D'accord ... " c'est la seule chose qui me sort de la gorge de manière à peine audible.


" Mais ... " Naomi reprend doucement, quelques secondes plus tard. " ... il ne serait pas contre, s'il pouvait rencontrer un ancien ami. A vrai dire, vous êtes sûrement le seul qui le connaisse et qui semble se soucier de lui. "
Je me redresse aussitôt sur ma chaise, mon cœur battant à mille.
" Donc, vous souhaitez vraiment savoir où nous sommes ? "
" Oui, s'il vous plaît ... " je réponds d'une petite voix.



Et me voilà, un mois plus tard, sous le soleil d'été de Brighton, en ce début de mois de Juillet. Voilà plusieurs semaines que je réside dans un petit appartement au centre-ville, pas bien loin du lycée Brighton & Hove devant lequel je suis actuellement garé. Et depuis mon installation dans la région, j'ai l'air d'un psychopathe dans cette voiture, à faire incognito le tour de la ville, étant durant tout ce temps, en phase d'observation. A ne jamais cesser d'ausculter chacun de ses faits et gestes, et à noter chacun de sesdéplacements. Il m'est même arrivé de me garer à quelques pâtés de maisons de la résidence des Sullivan, ne serait-ce pour l'observer prendre l'autobus qui le conduit au lycée – plus pour m'assurer qu'il est bien réel, et que chaque jour n'est pas un rêve éveillé. Et encore aujourd'hui, j'ai toujours du mal à réaliser que j'ai achevé ma quête.


Garé sur le parking du lycée blindé d'autres voitures de parents qui déambulent sur toute la place – se rendant en direction de l'entrée de l'établissement –, j'hésite encore à sortir de mon véhicule. Car aujourd'hui, j'ai dû sécher mon service au pub Myle's situé au centre ville, pour ce grand jour. C'est la remise des diplômes des seniors de Brighton & Hove. Et bien que j'ai attendu cet instant depuis une éternité, je n'ai pas pensé à la manière dont j'aborderais la situation. Est-ce une bonne idée ? Comment pourrais-je lui annoncer que nous nous connaissons plus qu'il ne le pense ? Prendra-t-il peur ? Qu'est-ce que je ferais si ça ne marche pas ? Et si je me fondais seulement dans la foule et continuais de l'observer sans intervenir ? Non, tu n'as pas parcourus trois cents kilomètres et piocher dans l'argent de tes études pour emménager ici, en vain. Non, c'est vrai. J'ai fait tout ce chemin uniquement pour lui. Pour moi. Pour nous deux. Je ne peux pas me permettre de douter. Alors je ferme brièvement les yeux en inspirant profondément, ravalant toute nervosité et appréhension, et je sors spontanément de l'Audi. Fonce sans réfléchir, Louis.


Je marche à travers ce grand parking au milieu des familles et amis. Et ne connaissant personne, je me sens comme un étranger immigré. Je ne peux même pas reconnaître Naomi Sullivan parmi la foule, tout simplement parce que l'on s'est limité à se parler au téléphone, sous ma demande – par peur de devoir subir un interrogatoire durant lequel je serais obligé de mentir sur ma rencontre avec son neveu alors ... que c'est tout ce que je refuse. C'est pour cela que je préfère passer inaperçu jusqu'à ce qu'enfin, je puisse le rencontrer par moi-même. Je veux qu'il sache toute la vérité – qu'il se souvienne. Peu importe le temps que ça prendra, même si ce sera difficile. Parce que c'était notre histoire. Et elle continue toujours.


Nous entrons enfin dans l'enceinte de l'établissement, et les surveillants nous indiquent le chemin vers l'une des grandes cours de l'école, où sont installés des gradins en face d'une centaine de chaises réservées aux étudiants qui font elles-mêmes, face à une scène où reposent un pupitre, des chaises disposées en arc, et juste au-dessus de celles-ci, un grand rideau blanc portant fièrement – en grands caractères bleus et gras, magnifiquement inscrits – le nom du lycée de Brighton & Hove, et qui brille sous les rayons battants du soleil. Nous nous installons à nos places, et avec curiosité, j'essaie de me faire une image de Naomi Sullivan au milieu des personnes qui apparaissent dans la cour, mais ça m'est presque impossible. Car la seule pensée qui me hante est la sienne. Je n'arrive pas à croire que je m'apprête à le revoir pour la première fois en une année et demie. Pas d'aussi près que ce que je l'espérais, mais c'est déjà cela de près.


Plusieurs minutes passent avant qu'un bref silence s'installe, puis des applaudissements naissent lorsque le Directeur de l'école fait son apparition sur scène. Très vite, il commence son discours nous remerciant de participer à cette remise de diplômes et présentant brièvement les quatre longues années qui sont passés pour ces élèves qui s'apprêtent à entrer dans la cour des grands. Mais je ne tarde pas à ne plus y prêter attention lorsque je remarque sur le côté de la scène, derrière la porte de l'entrée de la cour, le mouvement d'une toge bleue. Ce doit être les étudiants qui s'apprêtent à s'installer devant nous. Et cela suffit à mon cœur pour qu'il commence à battre de nervosité.


" Mesdames et messieurs, vous pouvez fièrement accueillir les seniors de Brighton & Hove, promotion 2016. " annonce enfin le Directeur.


Les étudiants apparaissent lentement hors de l'enceinte de l'établissement sous une horde d'applaudissement, et s'installent en file indienne au côté de l'estrade, en nous faisant face, et je m'empresse de le repérer au milieu des toges bleues. C'est difficile de loin, car j'ai l'impression qu'ils se ressemblent tous, vêtus de la même couleur. Mais rapidement, c'est ce sourire qui apparaît sur son visage, qui fait subitement rater un battement à mon cœur. Cette fossette. Je la reconnais. Il sourit à l'une de ses camarades qui se tient à son côté qui discute discrètement avec lui. Ils rient doucement tous les deux, bientôt accompagnés par d'autres de leurs amis. Merde. C'est trop beau pour être vrai. A cet instant, j'ai l'impression que cette année et demie sans l'avoir vu n'a jamais existé, car cela me semble trop irréel. Malgré la distance qui nous sépare, je vois ses yeux briller de mille feux. Je ne l'ai jamais vu aussi heureux. Aussi ... vivant. Et c'est étrange sur le coup. Étrange dans le bon sens. J'ai l'impression de sentir quelque chose en moi, renaître. Ce vide qui me ronge depuis des mois et des mois commence à se combler.


Les minutes passent et le Directeur commencent à présenter les professeurs qui apparaissent un à un sur la scène, sous les acclamations du public.


Puis ce n'est que quelques minutes plus tard, que le congrès des professeurs félicitent et remettent aux mains de chaque élève, sa licence. Je ne sais pas combien de temps passent pendant que tous les seniors réunis sont appelés par ordre alphabétique. Ce doit être deux bonnes heures, mais pour moi, à l'instant où son nom est enfin évoqué, c'est comme si cinq petites minutes étaient passées tant je n'ai pu le quitter des yeux, durant toute la cérémonie. 


" Harry Styles. " son nom résonne à travers le pupitre et un tonnerre d'applaudissements naît dans les gradins. Une ovation rien que pour lui, qu'il mérite plus que tout au monde. Et je ne peux m'empêcher de me lever et de sourire timidement comme un idiot, tant je suis fier de lui. Harry sert la main du Directeur avant de sourire au public, agitant fièrement son diplôme dans sa main. Puis c'est lorsqu'il fait un clin d'œil à une direction précise vers la foule, que je me rends compte que je ne suis pas le seul à m'être levé. Une charmante femme d'une quarantaine d'années, aux boucles brunes, vêtue d'une longue robe d'été fleurie sous un gilet blanc, et possédant ... ce même sourire que je connais – entourée de deux jeunes enfants pré-adolescents, se sont levés pour l'acclamer. C'est sa tante, Naomi Sullivan. Et sûrement sa cousine et son cousin. Waouh. Leur ressemblance physique est toutefois frappante. Comment ai-je fait pour ne pas les avoir remarqué ? Elle répond fièrement au sourire de son neveu qui est la star du jour, en essuyant le coin de son œil avec un mouchoir. Et cette image de famille fière pour lui me coupe le souffle tant cela me réchauffe le cœur. A cet instant, je donnerais n'importe quoi pour pouvoir voir la présence de sa mère, juste là, à leurs côtés. Mais je sais qu'elle doit être tout aussi fière de son fils, de là où elle se trouve.


Harry traverse la scène pour retrouver les nouveaux diplômés postés de l'autre côté de celle-ci. Mais avant de descendre les estrades, il arrête subitement sa démarche, le regard perdu dans le vide. Et sans m'y attendre, il tourne doucement la tête vers ma direction. Bordel. Je me fige instantanément sur place, mes yeux se noyant dans ses émeraudes brillantes, apercevant l'ombre d'une émotion indéchiffrable traverser son visage. Je ne sais pas ce qu'il se passe, à cet instant, mais j'ai l'impression que le temps s'est arrêté et que nous sommes, tout à coup, coupés du monde. Ce visage ... Ce visage parfaitement fin et plus éclatant que jamais m'étourdit. Je crois que je vais m'évanouir. Les palpitations de mon cœur s'accélèrent de plus en plus. Je le sens dans mon thorax qui cogne encore plus fort. Tellement fort et tellement vite que je peux même l'entendre, en ayant l'impression qu'il va surgir de ma poitrine. Et c'est comme si une étrange aura essayait de nous réunir, sans pour autant y parvenir. Que se passe-t-il ? Est-ce qu'il ... ? Y aurait-il une chance qu'il ... ? Oh mon Dieu. Je ne contrôle plus rien. Ni mes pensées, ni ma respiration. Et un fin sourire se dessine sur mon visage. Je n'arrive pas à croire qu'il est vraiment là, et qu'il me regarde droit dans les yeux, en ce moment-même. J'ai complètement oublié où je me trouvais jusqu'à ce que son regard quitte subitement le mien quand un étudiant nouvellement diplômé à sont tour, apparaît derrière lui et lui tapote délicatement l'épaule pour qu'il avance. Harry cligne plusieurs fois des yeux et je vois ses lèvres brièvement bouger – sans doute pour s'excuser auprès de son camarade – avant de descendre de la scène. On ne s'est même pas rendus compte que la cérémonie prenait toujours son cours. Et ce sont les applaudissements qui me ramènent lentement à la réalité.
Durant l'instant d'une seconde, à travers son regard, j'espérais qu'il s'était souvenu – qu'il ne m'avait pas vraiment oublié. Malheureusement, cela semble trop facile à espérer. Car ça ne semble pas être le cas. Il se rend vers les chaises réservés aux étudiants et je le vois sourire à ses amis qui se lèvent de leur place pour le serrer dans leurs bras, et il ne m'adresse plus un regard jusqu'à la fin de la cérémonie. Mais mon cœur ne cesse toujours pas de battre la chamade, et je ne renoncerai pas pour autant.


Une demie heure plus tard, voilà que tous les étudiants repartent avec leurs familles. Quant à moi, me sentant ridicule au milieu de tous ces visages inconnus, je me suis mis à l'écart en déplaçant ma voiture hors du parking de l'école. Et me voilà à quelques mètres de-là, posté contre un arbre, les mains enfoncées dans les poches de mon pantalon et la tête dans les épaules, en train d'observer discrètement les voitures quittant les lieux, tout en jetant des regards furtifs en direction d'un grand véhicule bleu, que je reconnais être une Honda Odyssey, devant lequel se trouve Naomi Sullivan, ses enfants, et Harry. Je les observe d'un œil admiratif. Il est vraiment là. Dire que la dernière image que j'ai eue de lui était, allongé sur un lit d'hôpital, entouré de machines et se battant contre la mort. Et aujourd'hui, il est entouré de la seule famille qui lui reste, et qui ne l'a jamais autant aimé – tenant fièrement son diplôme en main qu'il avait tant désiré, pendant que sa tante le prend en photo. Je les vois sourire et discuter entre eux. Je ne les entends pas de là où je me trouve, mais cela ne m'empêche pas de sourire avec eux. C'est peut-être le moment ? Devrais-je les rejoindre et enfin me présenter à Naomi ? Je suis tenté de faire un pas en avant, mais à l'instant où je vois Harry serrer son cousin et sa cousine dans ses bras, je me résigne aussitôt. Non. C'est un instant privilégié en famille dans lequel je ne peux pas me permettre de m'incruster. Alors je me contente de rester dans mon coin, sous l'ombre de cet arbre à l'observer. J'ai l'impression de le redécouvrir. Et en fait, c'est ce qui est en train de se passer. Quelques secondes plus tard, il se renfrogne aussitôt de manière nerveuse en regardant autour de lui, avant de reprendre la parole auprès de sa tante. Puis à son tour, elle prend un air plus ou moins sérieux, et regarde autour d'elle avant de hausser les épaules. Et je recule instinctivement d'un pas en me souvenant de ce que j'avais dit à Naomi, au téléphone. Que je me rendrais à la remise de diplôme de Harry. Mais je ne pense pas être prêt à lui faire face, malgré les semaines qui sont passées à le contempler de loin. Alors avant que tous les deux me remarquent, je fais volte-face à contrecœur, et rejoins ma voiture.


**


OK, Louis. C'est maintenant ou jamais.
Les voiliers flottent sur le Pacifique, et les mouettent survolent la côte en chantant leur mélodie d'Été. Et moi, je suis devant cette librairie antique. J'ignore depuis combien de temps je fais les cents pas sur le trottoir de cette rue de la baie de Brighton et faisant directement face au port ensoleillé.


C'est durant le weekend après la remise des diplômes que je me suis entièrement préparé à cet instant. L'instant où je lui ferai enfin face – où je rencontrerai pour une seconde première fois, Harry. Mais je ne peux m'empêcher de penser et mon appréhension présente n'aide pas ma nervosité à s'apaiser. J'ai l'impression que les passants me regardent tous comme si j'étais cinglé, alors qu'à chaque fois que je lève les yeux, ce n'est pas le cas. Chacun s'occupe de son propre monde. Et moi, aspiré dans le mien, je ne suis plus à cela de près de me dire que je suis peut-être fou. Parce qu'en ce moment-même, je le suis totalement.


Je ne cesse d'espionner le personnel de la boutique à travers l'une de ses vitrines. Je ne le vois nulle part. Et quand il apparaît de l'arrière de la boutique, c'est soit pour rire avec le jeune blond qui s'occupe de déballer la pile de cartons au milieu de la pièce décorée d'étagères de centaines et de centaines de livres, ou soit pour sourire à la petite brune à queue-de-cheval qui s'occupe de la caisse. Et c'est exactement le genre de choses qui me frustre au plus haut point depuis que je ne cesse d'être témoin de son quotidien. En cinq mois, des tas de choses ont pu se passer, et des tas de questions trottent dans ma tête. M'a-t-il réellement oublié ? A-t-il rencontré quelqu'un ? Lui arrive-t-il d'apercevoir une petite chose insignifiante qui pourrait lui rappeler un quelconque détail de son passé ? Ou cette amnésie n'a-t-elle rien d'éphémère ?


Qu'est-ce que tu attends pour franchir cette porte, bon sang ? Peut-être s'apprête-t-il à déjeuner ? Il est neuf heures et demie, du matin. Et si je perdais mes moyens ? Et si je disais n'importe quoi et lui ferais prendre peur ? Peut-être ne voudra-t-il jamais me revoir ? Le destin vous donne une seconde chance, tu n'en auras pas une troisième. Mais si – arrête de penser et entre dans cette putain de boutique ! Très bien ! D'accord. Peu importe ce qu'il se passera. Peu importe si je me tourne au ridicule. J'ai besoin de le voir. J'ai besoin de savoir que ce que j'ai vu dans ses yeux le jour de sa remise de diplôme, était bien un signe d'espoir me disant qu'il n'est pas trop tard. J'ai besoin ... de retrouver mon Harry.


Faisant dos à la porte d'entrée de la librairie, le visage désespérément entre mes mains, j'inspire profondément et ravale toute mon anxiété, avant de relever subitement la tête vers le ciel. Tout va bien aller. Et c'est dans un élan que je décide de me retourner, mais à la seconde qui suit, je heurte une monstrueuse pile de livres qui fonce droit sur moi, et qui s'écroule au sol pendant que je porte une main sur ma tête. Bordel, ce que ça fait mal. Heureusement que le coup n'a pas été rude. Enfin, il ne l'a pas été pour moi, mais n'a pas épargné la personne qui portait les bouquins et qui se retrouve, à présent, les fesses à terre. Et alors que je m'apprête à la réprimander, je me fige instantanément autant que mon cœur rate un battement soudain, quand je réalise ... que c'est Harry. 


" Aargh, bordel ... " grince-t-il entre ses dents. Sa voix ... Sa voix.Cette voix douce et rauque à la fois que j'ai cru ne jamais entendre à nouveau, un jour, me fait frisonner de tout mon corps. Mais je crois que je suis tellement sous le choc, que je suis incapable de réagir, ne serait-ce de battre un cil. Je reste là, tétanisé comme un idiot, à le regarder se relever du sol, s'accroupir et ramasser ses livres. " Je suis vraiment désolé. " dit-il sans que je sois réellement sûr que je l'écoute. " Je n'ai pas remarqué que vous vous trouviez sur le chemin. "
Je crois que je suis tellement sonné que c'est seulement ma conscience en elle-même qui réagit, et non mon esprit complètement déboussolé. " Euh ... non, c'est ... " je bégaie. Bordel, Louis, reprends-toi tout de suite avant de tout foutre en l'air. " Hum ... " je me racle la gorge et je ne sais combien de temps passe, mais je fini enfin par recouvrir mes esprits. Et je me dépêche de m'accroupir en face de lui pour l'aider à reconstruire sa pile de livres. " C'est ma faute, je ... " Regarde-moi. Je lui jette plusieurs coups d'œil discrets, en espérant qu'il lève les yeux vers moi afin que je puisse revoir l'éclat de ses émeraudes. Mais il semble beaucoup plus concentré sur ce qu'il fait. " ... je gênais le passage. "
" On n'a pas l'habitude de recevoir des clients à une heure si tôt, un lundi matin. "
" A vrai dire, j'hésitais longuement à entrer dans la boutique. "
" On pourrait continuer à s'expliquer encore longtemps ? " ricane-t-il.
Et sa fossette gauche fait son apparition, me coupant le souffle.
" On dirait qu'il n'y en a pas un pour pardonner l'autre. " je trouve tout de même le souffle qu'il me faut pour enchaîner dans un sourire léger. Allez, regarde-moi.
" Visiblement. " ricane-t-il à nouveau.


Il ne reste que quelques livres devant nous et en tendant la main vers l'un d'eux, je croise celle de Harry qui m'effleure doucement la peau. Et c'est tellement soudain qu'une légère décharge nous frappe et l'on recule nos mains instantanément, l'une de l'autre. " Désolé ... " dit Harry d'une petite voix timide en levant enfin les yeux vers moi.
Et à cet instant, ce sentiment me frappe à nouveau. Ce sentiment d'être prisonnier dans son regard, et que la terre a subitement arrêtée de tourner. Un frisson me parcourt violemment la colonne vertébrale et je réalise que je ne l'ai jamais vu d'aussi près, même un an et demie plus tôt lorsqu'il n'était ... que l'ombre de lui-même. Et si je ne faisais pas preuve d'une grande conscience entièrement décente, je me jetterais à son cou pour le serrer le plus fort possible dans mes bras – et peut-être même, l'embrasser. Oh oui, ce que je donnerais pour le sentir contre moi. Je ne sais combien de temps passe pendant que nous sommes en train de nous regarder de manière insistante, mais j'ai la bonne impression qu'il essaie de s'immiscer dans mon esprit, semblant plus ou moins perdu. On dirait qu'il essaie de comprendre quelque chose. Oui. Oui, je t'en prie. Souviens-toi.
" C'est toi ? " laisse-t-il échapper dans un murmure.


Je crois que mon cœur s'est arrêté de battre durant une fraction de seconde. C'est toi ? Moi ? Est-ce qu'il ... Oui. Oui, c'est moi ! 
" Oui ... " je souffle dans un murmure sans savoir si c'était une affirmation ou une interrogation. Puis Harry se ressaisit aussitôt en secouant discrètement la tête et clignant plusieurs fois des yeux. " Hum, je veux dire ... tu étais présent, à la remise des diplômes, vendredi. " reprend-t-il après s'être raclé la gorge. " Tu étais dans les gradins. "
Cet instant de faux espoirs m'est comme un coup de poing reçu à l'estomac. Mais je m'efforce dissimuler ma déception, et prends sur moi. " Oui, c'est exact. " je marmonne en faisant attention de filtrer mes mots. Je ne voudrais surtout pas que mes pensées s'emballent trop vite et gâchent tout. Toutefois, sa tante a sûrement dû lui parler de la visite surprise d'un de ses anciens amis. Peut-être que ... si j'essaie d'y faire discrètement allusion, sa mémoire en tirerait profit. " Je venais rendre visite ... à un ami. " je continue pendant que nous nous levons – et au même instant, je remarque le pendentif de la chaîne en argent autour de son cou, à travers sa chemise dont les deux premiers boutons sont ouverts. Saint Jude. " Un ancien ami. " je précise distraitement avant de me pincer les lèvres pour réprimer le sourire indiscret qui vient de se dessiner sur mon visage. Je suis même obligé de détourner brièvement la tête. Il l'a gardé.


" D'où est-ce que tu viens ? " demande-t-il en commençant à ranger les livres sur l'une des tables de la terrasse.
" De très loin. A vrai dire, lui et moi, nous sommes perdus de vue, il y a longtemps et ... je voulais lui faire une surprise. "
" Oh, c'est génial. " se réjouit-il en continuant son rangement, alors que je suis debout, en face de lui, en train de le regarder d'un air à la fois insistant et tourmenté. " J'espère qu'il était aussi heureux de te retrouver que toi, dans ce cas. "
Bordel. Je crois que je ne vais pas y arriver. Si, continue, tu ne t'en sors pas mal. Je baisse la tête et je déglutis en triturant nerveusement, le pourtour de la table à mon côté. " Non. Parce que je n'ai pas osé le rencontrer. " je marmonne.
" Pourquoi ça ? " demande-t-il en se renfrognant étrangement.
Et à cet instant, je redoute ma réponse. S'il réalise, subitement, que je parle de lui, comment réagira-t-il ? Ne commence pas à penser, Louis. OK. Il faut que je continue de parler au lieu de laisser l'appréhension prendre sur moi. Alors peu importe où cela me mènera, dans une inspiration prudente, je souffle doucement" Parce que j'avais peur ... qu'il ne se souvienne pas de moi. "


Son froncement de sourcils s'accentue instantanément, et c'est à mon tour de me renfrogner. Je ne sais comment interpréter l'expression de son visage. J'ai l'impression qu'il a l'esprit ailleurs. Durant un millième de seconde, il a le regard de côté, vissé sur un point vide. " Tu ne le sauras jamais si tu n'essaies pas. " marmonne-t-il, le rictus d'un sourire nerveux au coin des lèvres. Et il ne me regarde pas, concentré sur le rangement de ses bouquins.


" Pourtant, c'est ce que je fais. " les mots m'échappent dans un souffle désincarné, mais pas de manière assez audible pour qu'il les entende. Enfin ... je crois. Mais je ne peux m'empêcher d'espérer que ce ne soit pas le cas. Car cette ombre indéchiffrable qui traverse son visage, m'interpelle silencieusement. Il semble confus, comme s'il ... comme s'il essayait de comprendre ... Et mon cœur se réchauffe enfin dans une orbe lumineuse d'espoir. " Comment se nomme ton ami ? " demande subitement Harry après un long instant de réflexion, en levant enfin les yeux vers moi.


Et la brillance de ses émeraudes sous les rayons du soleil me coupe si violemment le souffle que j'en ai le réflexe ridicule de faire un pas en arrière, plongeant mes mains dans les poches de mon pantalon. Et je ne sais pas si je dois lui mentir ou tenter une autre approche.

Distress CallOù les histoires vivent. Découvrez maintenant