Quatorze

742 55 13
                                        

Presque deux semaines sont passées. Deux semaines que j'ai commencé à lire ce journal. Et bizarrement, depuis là, rien d'anormal ne s'est passé chez moi. Ça me rassure et en même temps, j'ai l'impression que quelque chose d'autre se trame derrière tant de tranquillité. Car ce n'est plus – du moins, pour le moment –, cet esprit dans la maison qui pose problème. Ce sont les gens, autour de moi.

Partout où je vais, ce journal est sous mon bras. Je ne le quitte pas. Dès que j'ai un instant de libre, je m'installe dans un coin et continue de lire. Au lycée. Dans la rue. A la maison. Je n'ai pas encore osé me rendre près du casier de Harold. Je ne sais pas pourquoi. Sûrement parce que c'est son journal, et j'ai l'impression de le trahir malgré le message qu'il a inscrit au début du cahier. Il était censé être trouvé, alors je n'ai pas à culpabiliser. Mais pourquoi ai-je l'impression de m'éloigner de lui, spirituellement, ou ... que lui, s'éloigne de moi au fil des jours ? C'est à cause de cette sensation déroutante que je n'ai pas le courage de me rendre devant son casier. J'ignore d'où ça vient et je n'aime pas ça.


2 janvier 2012

Cher journal,


Il est rentré tard, encore une fois. Saoul. Je crois qu'il n'a jamais été aussi saoul de toute sa vie. De toute façon, ça ne m'étonne même plus. Depuis la mort de maman, il y a 6 mois, il n'arrête pas, et il s'est même éloigné de moi. Il est indifférent, comme si je n'existais pas. Mais je comprends. Il a besoin d'une échappatoire pour oublier son chagrin. Quitte à m'ignorer, à ignorer le monde, si c'est ce qu'il lui faut pour aller mieux, alors je ne m'en fais pas. Il a besoin de temps, et moi aussi. Mon échappatoire pour fuir mon chagrin ? C'est toi. Toi qui m'a été offert par maman à mes treize ans. Mais jamais je n'aurais imaginé que je l'utiliserais pour ancrer mes pleurs et mes angoisses parce que ... maman nous a quittés. Ça fait mal. C'est comme si on m'avait arraché le cœur. Toutefois, j'essaie d'aller mieux à travers toi. Et surtout, j'essaie d'être fort pour papa. Il a besoin que je le sois pour ne pas l'affaiblir encore plus, bien que tout mes efforts ne semblent jamais assez pour lui. J'ignore pour quelle raison et je crois que je n'ai pas envie de le savoir.

Il est bientôt quatre heures du matin, et je ne peux pas dormir à cause du boucan qu'il fait dans le salon. Je ne sais pas ce qui lui prends. Il hurle, parle seul comme s'il se disputait avec lui-même, et il casse tout ce qui lui passe dans la main. Parfois ça ne dure que quelques minutes, et d'autres fois, ça ne cesse toute la nuit et je m'endors en cours le lendemain à cause de la veille. Ça me tue littéralement de le voir comme ça. J'ai envie de l'apaiser, de le prendre dans mes bras, mais il refuse que je l'approche, et ça me fait encore plus de mal mais je prends sur moi. C'est pour quoi, je vais seulement aller me coucher, et essayer, plus ou moins, de dormir, parce que dans quelques heures, je dois me lever pour aller en cours. En espérant qu'il se calmera bientôt.

Bonne nuit, journal. Xx

Je me suis même mis à aller à l'église. Plus par instinct que par besoin, comme si ... comme si ça m'aidait à me ressourcer pour avoir le courage de continuer de lire ce journal et, en même temps, de me retrouver près de Harold. Mais j'ai remarqué que le prêtre m'observe toujours du coin de l'œil, même quand il est occupé à ranger les bougies, ou lorsqu'il parle avec quelqu'un. Il me regarde d'une façon que je ne peux décrire. Il a toujours l'air préoccupé et méfiant. Il me piste. Et à chaque fois, assis sur l'un des bancs de l'église, je lui renvoie ces regards qui lui parlent. Qu'est-ce qu'il ne va pas ? Mais il n'y a jamais répondu et fait comme si de rien n'était. Et ce sont durant ces moments-là, que je n'arrête pas de repenser à notre rencontre, quand il a prononcé mon prénom pour la première fois, alors que je ne le lui avais jamais dit. Comment l'a-t-il su ?

Distress CallOù les histoires vivent. Découvrez maintenant