19. OFFENSE

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– Ils ont dit que c'était des embrouilles entre ados. Qu'ils ne feraient rien. 

Mara était d'une humeur exécrable. 

–  Je comprends pas, j'ai amené les mots pourtant ! Bordel il faut faire quoi pour être entendu dans ce pays quand on n'est pas encore majeur... ? 

Elle ruminait depuis une heure, assise au bout du lit de son jumeau. Elle râlait, elle crachait sur à peu près tout et n'importe quoi. Jesse l'observait en silence, en l'écoutant vider son sac. Il le lui avait bien dit : tout dire à la police ne changerait rien. 

– J'ai peur ok ? Franchement Jess, je commence à flipper. Pour de vrai. 

Là, elle capta son attention. Parce que Mara c'était une fille forte, le genre de fille qui ne se décourageait jamais, qui gardait toujours la tête haute. 

–  Mara... 

– Quoi ? Tu vas pas me dire que toi non, hein ? J'ai l'impression que ce gars-là, ou cette fille, on n'en sait rien, il ne nous lâche jamais. Qu'il est toujours là. De temps en temps, je me retourne dans la rue, juste pour m'assurer que je ne suis pas suivie, tu vois le genre ? L'autre jour, j'étais au cinéma avec Warren et... Je sais pas, je n'étais pas sereine. 

Mara baissa les yeux et tripota le bout de sa chaussette. Je ne sais pas quoi te dire Mara, je... je suis aussi perdu que toi avec cette affaire. Il avait envie de lui dire que tout ça allait bien s'arrêter. Que tout allait se terminer demain, que tout irait mieux mais... Mais il savait déjà que ce n'était pas le cas. Jules et Iris avaient cru que tout s'arrêterait après l'enterrement. Ce n'était qu'un nouveau chapitre pour le corbeau. Rien de plus, rien de moins. Et Jesse avait ce mauvais pressentiment. Et puis il y avait les poèmes, ces strophes qu'il recevait au compte-gouttes. Il avait trouvé l'original. Il l'avait lu sans rien comprendre. Il manquait deux strophes. Alors il attendait, le ventre noué. Il attendait que l'autre joue avec ses nerfs comme il le fît depuis la rentrée. Il attendait qu'il ou elle fasse resurgir de douloureux souvenirs. 

– C'est peut-être elle.  

–  Elle ? 

– Kaya. 

–  Elle est morte, Mara. Morte et enterrée. 

– On n'en sait rien. 

– Comment ça on n'en sait rien ? Tu étais là ce jour, non ? 

– Moi je ne l'ai pas vu. 

– Moi si, et je t'assure que c'était elle. Et qu'elle était m-o-r-t-e. 

Répéter ce mot, insister autant lui glaçait le sang. Ça le mettait mal à l'aise d'en parler. Et puis comment sa sœur pouvait penser une chose pareille ? C'était de la folie. Pourtant elle avait l'air sérieuse.

– Tu vas pas t'y mettre... 

– Quoi ? 

– L'autre jour c'est Chloé qui avance des théories débiles, et maintenant, toi... ? 

– Débiles hein ? Parce que toi tu essaies de percer le mystère peut-être ? Tu es naze frangin. 

Elle s'était levée du lit.

– Moi au moins, j'essaie de faire bouger les choses. 

– Comment ça ? 

– J'ai mis une caméra dans ma piaule. Et une dans mon casier. Et une autre près de la porte d'entrée. 

– Tu déconnes... 

– Non, je flippe, c'est différent. Je vais me bouger pour pincer ce connard. Et après, tous les deux, on réglera nos comptes. 

Elle était sérieuse. Bon sang elle était sérieuse ! Il la regarda quitta sa chambre en claquant la porte et sursauta devant ce soudain élan de brutalité. Et au même moment, quelque chose heurta sa fenêtre. Une nouvelle partie du poème venait d'arriver. 

Voilà la rose brûle 

les amoureux s'endorment 

et les belles fleurs jaillissent 

au bord du vieux ruisseau

La photo n'était pas de lui. Ni de Wesley. Ni de Kaya. Ni de Chloé. Pour une fois, elle ciblait quelqu'un d'autre. Sa sœur. Avec l'ancien intermédiaire du corbeau. La photo était datée de ce fameux soir où ils étaient allés au cinéma. Mara avait raison de ne pas être sereine, on l'avait suivis jusque chez eux sur le chemin du retour. 


Juillet 2017, dernière semaine du mois.

– Ma mère ne me lâche plus, elle est persuadée que je fréquente quelqu'un., soupira Wesley.

–  C'est le cas, non ? 

Wesley baissa les yeux pour fixer ses baskets noires. Ils étaient assis dans le bateau pirate, qui devenait bien trop étroit pour eux au fil des années. Les jambes dans le vide, accoudé à la structure métallique, les deux garçons étaient une fois de plus réunies dans ce parc qui les avait vues grandir.

– Wesley ?

Il avait hésité avant de relancer la discussion. L'autre garçon avait levé les yeux vers le ciel et semblait s'être perdu dans la contemplation des rares étoiles présentes ce soir-là. Je sais que tu n'as pas envie de parler Wes... Il effleura du bout du pied la chaussure de Wesley.

– Désolé... ce n'est juste que...  

Sa voix n'était qu'un murmure.

– Je sais plus quoi penser. 

–  À propos de quoi ? 

Il s'en voulu presque aussitôt d'avoir posé la question. Évidemment qu'il savait déjà de quoi il s'agissait. Je crois que je n'avais pas envie d'entendre ta réponse Wesley. Parce que j'étais sûr à cent pour cent qu'elle allait me blesser. Mais ce qui sauva Jesse (et Wesley dans la foulée) ce soir-là fut l'arrivée soudaine de Mara.

Sa sœur avait enfilé son sweat de sport un peu trop grand qu'elle aimait tant et une paire de basket qu'elle n'avait pas pris la peine de lacer correctement pour venir les rejoindre. 

– Les gars ! Je vous cherchais partout depuis tout à l'heure ! 

Il sentit Wesley se détacher légèrement de lui. 

–  Vous venez ? Kaya et le reste de la bande nous attend à la maison. Le marathon photos est prêt. 

Ah oui. Il avait presque oublié Kaya et ses photos. Elle avait passé les vacances à mitrailler tout leur petit groupe et maintenant, insistait pour montrer les souvenirs qu'elle avait pu capturer. Sans un mot Jesse se glissa hors du bateau pirate, suivit de Wesley. Dans un élan d'amour fraternel il attrapa la main de sa sœur sur le chemin du retour. Et à son grand étonnement, Mara ne se dégagea pas. 

– Nous voilà ! 

Ils étaient déjà tous en place, paquets de chips et de bonbons dans les mains en attendant leur retour. Chloé leur fit un petit signe de la main. Devant le poste de télévision, Kaya tenait la télécommande, prête à commencer son diaporama. Wesley se glissa aux côtés d'Iris et Jesse s'assit à l'opposé.

– On peut commencer !, lança fièrement Kaya en appuyant sur le bouton on de la télécommande.

Les photos s'affichèrent et Kaya se posa tout près de lui, souriante. Cette fois-ci, il ne dégagea pas sa main quand elle l'effleura du bout des doigts. Il capta le regard de travers que lui lançait Wesley. Si tu as quelque chose à me dire mon grand... C'était puéril, il le savait. Et pour Kaya... C'était lui laisser penser qu'elle avait une chance. Mais à cet instant, je crois que j'avais juste envie que tu te sentes mal. Que tu te rendes compte à quel point je comptais pour toi, ou pas. 

– Elles sont magnifiques tes photos ma belle !, lança Jules.

–  Merci ! 

– Oui, magnifique., souffla Wesley qui n'avait pas quitté Jesse des yeux. 

D'accord, à ce moment mon cœur s'est tordu dans tous les sens. 

SEVENOù les histoires vivent. Découvrez maintenant