Five Years T.1 : Inside [Livaï x OC]

#11 Les piliers de l'humanité

「Livaï」

La chose n'a pas bougé de l'endroit où cette fille l'a déposée. Depuis que Hansi l'a emmenée avec elle, nous restons tous trois cloîtrés là, à la fixer tour à tour. Né plissé, Mike finit par sortir aussi, mais pour aller gerber. Lui qui renifle habituellement les gens avec dédain, je refuse d'imaginer ce que son flair de chien sent aux chiottes. Paix à son âme.

— Tu n'es pas obligé de t'infliger ça.

Accroupi, Erwin effleure le tissu du bout des doigts avant de l'en découvrir. Revoir ça n'a rien d'agréable. Ce cauchemar éveillé où, les paupières mi-closes et la bouche ouverte sur un cri infini, le visage décharné d'un enfant est figé dans une expression mélancolique. Le genre d'image à graver la mémoire et à hanter ses victimes, car elles demeurent incapables de l'aider, de le libérer de sa souffrance.

Je n'arrive pas à en détacher les yeux. Malgré ma ferme volonté à l'ignorer, c'est plus fort que moi, je ne suis pas composé de marbre. Accablé, je perçois l'abysse dans lequel le garçon s'est perdu, une vision juste insupportable. Erwin, lui, serre les dents et d'un mouvement anormalement raide, il retire entièrement le drap. Quelques secondes supplémentaires, quelques secondes de trop avant qu'il craque et le recouvre. Un grand soldat et dirigeant qui livre de fières batailles ? Face à la mort, nous ne sommes qu'humains, après tout. Le sentimentalisme est dans notre nature et le masque de l'indifférence, un moyen de nous préserver.

Erwin ne retrouve l'usage de la parole que des minutes après. Spectateur de ces rares instants où son visage trahit ses émotions, nous savons pourtant que toutes les vies ne se valent pas. Il en sera toujours ainsi dans la guerre que nous menons contre ces monstres. Mais la victoire nécessite-t-elle des sacrifices comme celui de cet enfant ? À l'évidence, la montagne de cadavres sous nos pieds continuera longtemps de grossir.

— Il n'a pas été tué par un Titan.

— Non.

Jusque-là, rien de compliqué. La dépouille a tous ces membres. Il n'en manque pas une bouchée.

— Probablement la faim, poursuit Erwin. Il faudra attendre le rapport d'autopsie pour savoir.

Un frisson d'écœurement me parcourt. Sont-ils vraiment obligés de fendre cette carcasse pour fouiller les entrailles de ce gosse ?

— Tu peux m'épargner cette image ? J'apprécierai.

— C'est la procédure, Livaï. Cela ne m'enchante guère plus que toi.

— Ne suffirait-il pas de demander à la fille ? Elle en sait beaucoup et son mutisme n'est plus une excuse. Il faut juste qu'elle se montre coopérative...

Erwin arque un de ses gros sourcils.

— Tu veux l'interroger ?

— Je ne suis pas la binoclarde, assuré-je. Je n'y prendrai pas spécialement de plaisir.