Chapitre 4

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Léa sort du métro à la station Odéon, à deux pas de chez elle. Alors qu'elle se dirige vers la rue Monsieur le prince où se trouve son domicile, elle retrouve peu à peu les repères qui lui ont échappés depuis qu'elle a quitté son appartement à la va-vite. Le retour brutal d'Enzo dans sa vie après des mois et des mois d'absence a provoqué un black-out total sur toute réalité extérieure à cet événement, une espèce d'état second qui range votre quotidien dans la catégorie du négligeable. Ce premier choc passé, un affreux mal de tête et une sensation de vide sont venus prendre le relais. Une grande tristesse aussi, doublée d'un sentiment de gâchis écœurant. Elle ne veut plus penser à tout ça. Elle ne peut plus. La douleur déchirante qui se réveillerait alors serait insupportable. Il faut reprendre le cours normal de la vie, se fondre à nouveau dans des habitudes rassurantes pour reprendre le contrôle. C'est ce qu'elle a de mieux à faire. Tiens, quel jour sommes nous, par exemple ... c'est un bon début ça pour retrouver les pieds sur terre ! Se persuade Léa. Mercredi. Ok, tu n'es pas encore tout à fait folle, tu te souviens que nous sommes mercredi. Cool ! Et il est ... quinze heures trente à ma montre. Super ! Je suis dans ma rue, mercredi 25 juillet et il est quinze heures trente. Tu vois, il y a encore des choses auxquelles se rattacher ! 

 —Merde ! s'écrit soudain Léa à voix haute. 

Elle vient de se souvenir que dans la vie normale, à cette heure-ci, le mercredi, elle devrait être au salon de coiffure dans lequel elle travaille à Montparnasse.  Merde, merde et merde ! Quelle conne ! S'invective-elle dans sa tête. Elle farfouille dans son sac pour tenter d'y dénicher son portable perdu au beau milieu d'un bazar sans nom. Ce n'est pas la première fois qu'elle est en retard, nuits de folie obligent, mais aujourd'hui elle ne se sent pas le courage d'aller permanenter les mémés, ni de faire la conversation. Trop d'émotions d'un coup. L'idée de disserter sur le couple Angélina Jolie-Brad Pitt, ou d'échanger des recettes de cuisine est au-dessus de ses forces. Après avoir enfin débusqué le précieux outil de communication entre une serviette hygiénique et deux paquets de Marlboro light, elle compose le numéro du salon, tout en élaborant une excuse bidon à servir à sa patronne. 

— Allô Martine c'est Léa, je suis malade je ne viendrai pas aujourd'hui. Une méchante gastro. Je vais aller chez le médecin et je vous tiens au courant pour les jours qui viennent. Comptez deux ou trois jours d'arrêt, je suis vannée. 

Comme souvent dans ce genre de situation, à l'autre bout du fil la réaction est méfiante, voire agacée. 

— Pfff ! Ça devient une habitude Léa ! On a du boulot ici et sans toi c'est la galère. Tu ne te rends pas compte. 

— Si, si, mais je ne suis vraiment pas en état de travailler aujourd'hui. 

— Je veux te voir demain avec ton arrêt de travail en bonne et due forme. 

 — Ok... A demain. 

 — A demain. 

Fin de la conversation. Cette fois ça risque de coincer. Martine perd patience et le ton qu'elle a employé ne laisse que peu de place au doute. Pôle emploi se profile à l'horizon... Une fois cette pénible formalité accomplie, Léa se dirige vers son appartement. S'il n'en est rien de la gastro, ses jambes en flanelles trahissent une fatigue véritable et la chaleur persistante n'arrange rien. Cette foutue chaleur qui devient de plus en plus insupportable. Son front est couvert de sueur et une mèche de cheveux colle à sa joue. La rue est un sauna à ciel ouvert. Dans l'ascenseur elle les attache en une petite queue de rat avec un chouchou et se passe une serviette rafraîchissante parfumée au citron sur le visage. Elle n'a qu'une hâte, faire une bonne sieste sur le canapé du salon pour oublier quelques heures le choc que lui réservé cette matinée. Arrivée sur le palier de son appartement elle cherche en vain ses clés dans son sac puis dans ses poches et se souvient les avoir laissées sur la serrure à l'intérieur en partant. Il faut dire que dans la précipitation et la confusion elle n'a absolument pas pensé à les prendre. La voilà bloquée à l'extérieur. Qu'est-ce qui m'a pris de partir comme ça ! Je suis vraiment à la masse. Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? Appeler un serrurier ? Au fur et à mesure que les contrariétés du quotidien se rappellent à elle en petits paquets cadeaux désagréables, la mémoire lui revient aussi. Malik ! ! ! Il a dû laisser les clés à la gardienne en partant. Ouf ! Merci mon chou, tu me sauves la vie. Léa reprend l'ascenseur en sens inverse jusqu'au rez-de-chaussée et frappe à la porte vitrée de Madame Forestier, « l'œil » de l'immeuble. Depuis que Léa a laissé sa vie se déliter dans des eaux troubles et qu'elle a été l'actrice de quelques retours au bercail bruyants et éméchés, ses relations avec la mère Forestier se sont sérieusement dégradées, mais il ne s'agit que de récupérer un trousseau de clés, rien de plus. Elle ne va pas me chier une pendule pour des clés, tente de se rassurer Léa, mal à l'aise en attendant qu'on vienne lui ouvrir. La porte s'entrebâille enfin sur le visage de la gardienne aussi avenant qu'un chiotte à la turque. 

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant