Chapitre 12

14 2 0
                                    


Lorsque Léa revient à elle la nuit commence déjà à tomber. Depuis son malaise elle a eu quelques phases d'éveils si fugaces qu'elle n'en a gardé aucun souvenir. Négligeables instants de conscience atrophiée. D'ailleurs, elle n'a quasiment pas bougé de l'endroit où elle s'est échouée en début d'après-midi. La première chose qu'elle entend est un bruit sourd, rapide, comme des coups de marteau dans un mur. Elle réalise avec terreur au bout de quelques minutes que c'est son propre cœur qui produit cet affreux son de grosse caisse au rythme désordonné. 

 — J'vais crever... a-t-elle la force de murmurer. 

Son front est couvert de sueur et la soif qui la tenaille est devenue douloureuse. Dans son esprit règne la confusion la plus totale, la plus effrayante qu'elle ait jamais connue. Elle repère malgré tout le combiné d'un téléphone posé sur un guéridon dans la pièce adjacente au couloir où elle se trouve étendue. Dans un réflexe de survie elle réunit les dernières forces qui lui restent pour se traîner en rampant vers ce qui pourrait être sa dernière chance. Les quelques mètres parcourus ainsi resteront sans doute les plus pitoyables de son existence. Le Graal est maintenant tout près mais il va falloir se mettre à quatre pattes pour l'atteindre. Pour se faire elle s'accroche au rideau de la fenêtre qui se trouve tout près. Elle tire sur ses bras qui sont pris d'une tremblante abominable. Elle serre les dents. Gémit. Le téléphone est à sa portée... Encore un effort... Ça y est, elle s'en saisit. Quel numéro composer ? Le SAMU... Elle appuie sur n'importe quelles touches, incapable de se remémorer le bon numéro. Invariablement elle tombe sur : « L'indicatif que vous avez demandé n'est pas attribué » Encore et encore la voix nasillarde et révoltante d'inhumanité. Est-ce la rage d'entendre cette voix sans âme ni compassion qui la nargue ? Quoiqu'il en soit, quelques connexions finissent par se faire dans son cerveau. Juste l'étincelle nécessaire pour qu'elle compose enfin le 15. On décroche. Elle appelle à l'aide. Lorsqu'on lui demande où elle se trouve, la panique fait bondir son cœur avec plus de violence encore. 

— Je...je ne sais pas, bredouille-t-elle en ayant l'impression d'avoir une langue en carton dans la bouche. 

— Calmez-vous et essayez de me donner une adresse Madame, demande la voix féminine au bout du fil. 

— Je ne sais pas ! crie Léa d'une voix étranglée qui lui semble étrangère. 

— Nous allons essayer de vous localiser grâce à votre numéro de téléphone. Patientez s'il vous plait.

Le fait d'avoir une voix humaine à laquelle se raccrocher redonne un peu de lucidité à Léa. Elle observe ce qui l'entoure et malgré ses yeux qui ne parviennent pas à faire le point, elle commence à reconnaître certaines choses. Ce qu'elle a vécu ces dernières quarante-huit heures lui revient en mémoire par bribes. Comme un symbole, c'est du Bouddha qui la regarde fixement que vient la révélation. Elle se trouve chez Enzo. 

— 15, rue Pigalle, chez Monsieur Laville, livre-t-elle en vrac à la jeune fille du SAMU.

Vingt minutes plus tard le véhicule qui la transporte en faisant hurler ses sirènes se fraye un chemin dans la circulation parisienne en direction de l'hôpital Saint-Antoine.



... Nombre de patients à l'ouverture du programme le 15 novembre 2004: 18
15 novembre 2005 : 25 (dix décès, dix-sept nouveaux patients)
15 novembre 2006 : 25 (dix décès, dix nouveaux patients)
15 novembre 2007 : 20 (cinq décès, pas de nouveaux patients)
15 novembre 2008 : 16 (quatre décès, pas de nouveaux patients)
15 novembre 2009 : 10 (six décès, pas de nouveaux patients)
15 novembre 2010 : 9 (un décès, pas de nouveaux patients)
15 novembre 2011 : 6 (trois décès, pas de nouveaux patients)
Patients intégrés à l'origine du programme en 2004 et toujours en vie : 1

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant