Chapitre 27

14 2 0
                                    

Enzo ressort de la maison abandonnée avec une seule idée en tête : rejoindre au plus vite le terrain vague. Il tarde un peu à retrouver ses repères, essaye de se souvenir du trajet qu'il a effectué avec « l'homme » à travers cette projection apocalyptique d'Alfortville. Au terme d'une course contre la montre qui lui semble interminable, il aperçoit enfin la palissade taguée. Tandis qu'il se précipite vers l'entrée du terrain vague, Malik est en train d'arroser la poussette de Ben avec l'un des bidons d'essence qu'il avait stocké ici en vue de son terrible dessein. Léa hurle sa haine et se jette sur lui munie d'un bout de planche ramassée à la volée - La première arme potentielle à lui être tombée sous la main -
Un cri rauque lui déchire la gorge et elle frappe. De toutes ses forces. Enzo, encore désorienté par la transition qui l'a mené de la chambre d'hôpital à ce lieu de mort, assiste à la scène, impuissant. Quelques filaments blanchâtres commencent déjà à se coller à ses chaussures. La lumière, peu à peu, envahit l'ancienne décharge. Malik, dans un réflexe, protège sa tête et encaisse le coup dans l'avant-bras. Rompu à ce genre de corps à corps, il saisit facilement le poignet de la furie prête à tuer pour sauver son enfant. D'un geste sec il la désarme et s'empare du gourdin improvisé. Léa se débat, griffe, tente par tous les moyens d'atteindre les yeux de son bourreau mais elle n'est pas de taille. Elle se plie en deux de douleur lorsque le genou de Malik lui explose le ventre. Elle se retrouve à terre, le souffle coupée. S'en est fini. Elle va perdre son enfant encore une fois, et cette fois-ci elle ne pourra pas remettre en cause sa responsabilité. Cette pensée affreuse a à peine le temps de germer dans son esprit que Malik lui envoie la planche en pleine tête. Le choc est tel que le bout de bois se brise en deux au contact de son crâne.
Comme dans un cauchemar sans fin, Enzo voit le monstre se diriger triomphant vers l'enfant. La folie dévore son visage tout entier. Haletant, il brandit un briquet Zippo au-dessus de la poussette. Il s'apprête à le lâcher lorsqu'une paire de griffes froides et dures se referment autour de sa gorge. Enzo, malgré ses membres décharnés qui le portent à peine et l'effort qu'il doit faire pour résister à la force blanche qui cherche à lui ôter la vie, a réussi à se traîner jusqu'à lui et à le saisir par le cou, bien décidé à ne pas desserrer son étreinte avant d'avoir entendu le dernier souffle sortir de la bouche de cette raclure. Malik tente de se débattre mais lorsqu'il découvre le visage squelettique de celui qui lui écrase la trachée, ses forces l'abandonnent. La terreur le paralyse littéralement. Enzo serre encore plus fort, la lèvre supérieure retroussée comme celle d'un chien enragé. Son visage ravagé par la pourriture semble tout droit sorti de l'enfer. Malik voudrait crier pour expulser toute l'horreur qui s'est emparée de lui mais aucun son ne sort de sa bouche. Ses yeux commencent à se révulser, les premiers vaisseaux sanguins éclatent en rhizomes jusqu'à ses iris, ses jambes se dérobent, ses bras s'agitent en tous sens de façon désordonnée.
Encore un souffle. Le dernier, long et sifflant. C'est la fin.
Enzo serre les dents, s'acharne sur le corps inerte comme s'il voulait lui arracher la tête. Il râle comme une bête. Possédé par sa rage, il ne s'aperçoit pas qu'autour de lui, la lumière blanche a presque tout emporté. Le temps lui est compté. Lorsqu'il retrouve enfin sa lucidité, ses yeux se mettent à chercher Léa fiévreusement. Elle est étendue dans la boue qui couvre le sol du terrain vague à quelques mètres de lui. Il rassemble les dernières forces qu'il lui reste pour se rapprocher d'elle. Elle ne bouge plus. Sa tête repose dans une mare de sang. Fou d'inquiétude, il la prend dans ses bras et colle son visage contre le sien. 

─ Léa ! Léa ! Réveille-toi ! Ne me laisse pas ! 

Aucun frisson d'espoir ne vibre sous les doigts d'Enzo. Aucun souffle ne vient réchauffer son cou, aucun pouls battre sous ses doigts. 

─ Non... Non... Non, ce n'est pas possible... 

Les larmes d'Enzo se mêlent au sang qui commence à sécher sur le front de Léa. Il ne peut accepter la réalité. Comment a-t-elle pu élaborer un scénario aussi noir ? Fallait-il qu'elle soit profondément désespérée pour en arriver là, pour voir en Malik la projection de son désir de mort. Un monstre créé avec leurs souvenirs ! 

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant