Chapitre 26

16 2 0
                                    

A l'obscurité succède un décor de chambre d'hôpital. Deux patients sont alités, reliés à des machines et des tuyaux qui les maintiennent en vie. Enzo flotte librement au-dessus d'eux à deux mètres du sol. De là où il se trouve il peut voir la pièce quasiment dans son ensemble. Elle est plongée dans la pénombre, par les fenêtres dont les stores n'ont pas été descendus on peut voir qu'il fait nuit noire. Le bip des appareils de contrôle sonne à intervalles réguliers. En dehors de cela, tout est calme.
Enzo se sent perdu, complètement désorienté. Il cherche « l'homme » des yeux fébrilement... Où est-il ? Dans quel piège l'a-t-il attiré ? 

─ Le temps des réponses est arrivé Enzo. 

Posté dans le coin le plus sombre de la chambre, celui-ci dévoile enfin sa présence.
« L'homme », encore et toujours « l'homme ». Celui qui n'a pas de nom, qui emprunte mille visages toujours semblables mais subtilement différents, celui qui est là sans être là... Enzo aurait juré qu'il n'y avait personne à cet endroit une seconde auparavant ! Cette faculté qu'il a de faire siens les jeux d'ombre et de lumière est décidément bien déroutante.
Qui est-il vraiment ?
Que veut-il ?
Autant de questions qui se posent, sans réponses, pour aussitôt tomber dans l'oubli.
Quelle importance ?
Voilà ce qu'Enzo finit toujours par se dire à ce sujet. Indifférent à toutes ces considérations,
« l'homme » se tient assis sur une chaise au chevet d'un des deux patients. 

 ─ Alors qu'est-ce que ça fait de revenir à la réalité ? interroge-t-il. 

 ─ Je... je suis complètement perdu, souffle Enzo d'une voix incertaine. 

 ─ Oui, c'est bien la raison pour laquelle nous nous sommes retrouvés dans l'embarras toi et moi. Parce que tu étais perdu. Tu ne te souviens pas ? Approche-toi un peu et la mémoire te reviendra peut-être. Enzo s'exécute. Il n'a pas plus de consistance qu'un amas de particules très fines mues par le souffle de l'air. Cet état que l'on pourrait croire agréable n'a en réalité rien de rassurant. Bien au contraire, le fait de ne plus ressentir la masse de son propre corps constitue un choc traumatique particulièrement angoissant. A cet instant il donnerait tout pour retrouver sa vieille carcasse en putréfaction, elle au moins avait l'avantage d'être connue, grinçante, grouillante, douloureuse, insupportable certes... mais vivante ! Ici, comme ça, privé de tout repère, il ne sait plus qui il est. Cela va même au-delà : il ne sait plus ce qu'il est. 

 ─ Approche encore un peu, insiste « l'homme ». 

Enzo se tient maintenant à la verticale de celui que l'on maintient entre la vie et la mort, à l'aide de tout un appareillage sophistiqué. Cet homme, pas encore condamné mais déjà enfermé dans le couloir de la mort comme si la sentence était courue d'avance, c'est lui : Enzo Laville.
 « L'homme » sourit mais c'est un sourire factice, assombri de lassitude. Cette histoire ne l'amuse plus. Au fond de lui il sait bien que le jeu est terminé. Il est devenu trop dangereux et a perdu tout son attrait. Alors il faut y mettre un terme. 

 ─ Alors tu commences à comprendre ? Nous sommes à la Salpêtrière à Paris. 

Enzo fixe son propre visage, cabossé par de multiples blessures. Le choc est terrible. Des images rouges comme le sang, brûlantes comme le feu, jaillissent dans son esprit. 

 ─ Je... je me souviens... l'accident de voiture... les flammes. La personne qui occupe le lit juste à côté c'est Léa n'est-ce pas ? 

─ Oui, c'est exact. 

─ Elle va mourir... 

─ Peut-être pas. Si tu retournes la trouver. 

─ Mais, je... je ne comprends pas, le terrain vague, Malik, toute cette histoire... Ce n'était qu'un long cauchemar non ? La réalité est là sous mes yeux ! Je m'en souviens maintenant. Moi et ma femme qui avons eu un accident et qui luttons pour ne pas mourir. 

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant