EPILOGUE

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C'est la fin de la pause déjeuner. Comme tous les midis, après avoir pris son repas avec ses collègues, le docteur Girard se ressource un instant, seul dans son bureau. Il tapote distraitement sur son clavier d'ordinateur tout en buvant un café. De la paperasse, encore de la paperasse. Il pense à ses patients. Ceux qu'il a sauvés, et les autres...

La solitude face à la mort, voilà le point commun entre le médecin et ses patients, se dit-il.

La matinée a été contrastée comme souvent dans son métier. Après avoir rendu le sourire aux proches de Léa Desjours, il a fallu affronter la douleur de la famille Laville. Soutenir les regards du père et du frère de celui qu'il n'a pu sauver, trouver les mots justes, apporter un peu de réconfort. Comme d'habitude, il a tenu à le faire lui même, par principe, parce qu'à chaque fois il se sent coupable. Bien sûr, les mots sont dérisoires dans ces instants là et il faut une sacré dose de courage pour s'exposer aux reproches, à l'incompréhension, à la douleur en sachant cela. Alors il se montre courageux, comme pour se pardonner de n'avoir rien pu faire. C'est sans doute la raison pour laquelle, après des années d'exercice, il endosse encore le mauvais rôle du mieux possible. Sobrement et honnêtement. A un moment pourtant, ce matin, ses yeux ont fui ceux d'Henri Laville. Comment aurait-il pu en être autrement sachant que la machine qui maintenait son fils en vie avait été coupée sans qu'on en sache la raison ? Accident ? Défaillance du matériel ? Malveillance ? Impossible à dire. Les infirmières de garde avaient rapidement réagi pour remettre les choses en ordre et Enzo, malgré le choc, était encore en vie après leur intervention. L'encéphalogramme, les battements cardiaques ainsi que toutes les mesures rattachées au fonctionnement de ses fonctions vitales avaient été stabilisées à un niveau acceptable. L'alerte avait été sérieuse mais à priori sans conséquences. Ce n'est que quelques heures plus tard, à 23h39 exactement, qu'il avait cessé de vivre. L'incident avait-il précipité les choses ? Rien ne permet d'en juger. Cela n'avait pas empêché les questions de venir se bousculer dans la tête du docteur jusqu'à son face à face avec la famille. En plus du questionnement sur le mystère qui entourait cette affaire, il endurait la désagréable sensation que tout le travail effectué pour sauver Enzo avait été anéanti par un facteur imprévisible dont il n'avait pas eu la maîtrise. Henri Laville avait-il perçu quelque chose quand l'espace d'une seconde les yeux du docteur s'étaient détournés ? Il pressent que oui. 

─ Passe à autre chose, soupire le docteur à sa propre attention. 

Il jette un œil fatigué à sa montre et constatant que l'heure tourne, se redresse, appuie son dos sur le dossier de sa chaise et tente de faire le vide. Avant d'attaquer la deuxième moitié de sa journée de travail il s'attache à effectuer ce rituel dès qu'il en a la possibilité. C'est lors de ses années de fac, alors qu'il était un élève doué mais handicapé par un stress trop important qu'il avait découvert une technique de respiration salutaire pour son mal. Depuis, il l'applique quasi quotidiennement avec discipline. Après dix minutes d'oxygénation il se sent déjà mieux. Le docteur récupère le dépôt de sucre au fond de son gobelet avec son index qu'il suce avec un bruit de ventouse singulier. A vrai dire il ne boit du café que pour ce petit plaisir là. Son péché mignon. Il rallume son smartphone, qu'il coupe systématiquement à midi, et en profite pour visionner rapidement les résultats du tournoi de tennis de Wimbledon. En passionné, il ne peut s'empêcher de regarder en direct la balle de match de la première demi-finale. C'est alors qu'on se met à tambouriner à la porte de son bureau avec insistance. 

─ Docteur ! Docteur ! Vous êtes là ? 

 « Non », aurait-il voulu répondre mais le ton de l'infirmière dont la voix s'étrangle de trop crier ne laisse rien présager de bon. Il referme son portable et ouvre la porte. 

─ Bon sang, qu'est-ce qui vous arrive Marie ? 

─ Dieu merci vous êtes là, venez vite ! 

─ Mais... où ça ? Calmez-vous voyons !

─ A... A la morgue. 

L'infirmière attrape le bras du docteur et l'entraîne presque de force avec elle. Les voilà tous les deux courant dans les couloirs comme si le Diable les poursuivait. 

─ Mais... dites-moi au moins ce qui se passe ! tente-t-il de protester. 

Sans ralentir l'infirmière lâche dans un souffle : 

─ Sylvia a entendu un cri dans le tiroir 23-04, celui dans lequel on a mis Monsieur Laville. 

─ Quoi ? Quel genre de cri Marie ? 

─ Un ...un cri effrayant, docteur.


FIN 

Avant de partirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant